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vii
introduction.

C’est seulement plus tard que cette idée de dépendance réciproque deviendra toute métaphysique : elle aboutira alors au concept de l’« absolu » et au sentiment d’adoration ou de pur « respect ».

Outre la conscience de notre dépendance et le besoin corrélatif de libération, nous trouvons encore dans le sentiment religieux l’expression d’un autre besoin social non moins important, celui d’affection, de tendresse, d’amour. Notre sensibilité, développée par l’instinct héréditaire de sociabilité et par l’élan même de notre imagination, déborde par delà ce monde, cherche une personne, une grande âme à qui elle puisse s’attacher, se confier. Nous éprouvons dans la joie le besoin de bénir quelqu’un, dans le malheur, celui de nous plaindre à quelqu’un, de gémir, de maudire même. Il est dur de se résigner à croire que nul ne nous entend, que nul ne sympathise de loin avec nous, que le fourmillement de l’univers est entouré d’une immense solitude. Dieu est l’ami toujours présent de la première et de la dernière heure, celui qui nous accompagne partout, que nous retrouverons là même où les autres ne peuvent nous suivre, jusque dans la mort. À qui parler des êtres qui ne sont plus et que nous avons aimés ? Parmi ceux qui nous entourent, les uns se souviennent à peine d’eux, les autres ne les ont même pas connus ; mais en cet être divin et omniprésent nous sentons se reformer la société brisée sans cesse par la mort. In eo vivimus, en lui nous ne pouvons plus mourir. À ce point de vue, Dieu, objet du sentiment religieux, n’apparaît plus seulement comme un tu-