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dissolution des religions.

tion, le dévoilement, le sacrifice du réel à l’idéal, telle est, dit-il, l’essence même de la religion. » Et ailleurs : « Qu’est-ce que l’État, sinon l’égoïsme organisé ? Qu’est-ce que la religion, sinon l’organisation du dévouement ? » M. Renan oublie d’ailleurs ici qu’un État purement égoïste, c’est-à-dire purement immoral, ne pourrait vivre. Il serait plus juste de dire que l’État est l’organisation de la justice ; comme justice et dévouement ont au fond le même principe, il s’ensuit que l’État repose, ainsi que la religion même, sur la morale : la morale est la base même de la vie sociale.

En Angleterre, nous voyons également se produire la transformation de la foi religieuse en foi purement morale. Kant, par l’intermédiaire de Coleridge et de Hamilton, a exercé une grande influence sur la pensée anglaise et sur cette transformation de la foi. Coleridge a ramené le « royaume de Dieu » sur la terre, et le règne de Dieu est devenu pour lui comme pour Kant celui de la moralité. Pour Stuart Mill, placé à un autre point de vue que Coleridge, ce qui ressort de l’étude des religions, c’est aussi que leur valeur essentielle a toujours consisté dans les préceptes moraux qu’elles donnaient : le bien qu’elles ont fait doit être attribué plutôt au sentiment moral provoqué par elles qu’au sentiment religieux proprement dit. Toutefois, ajoute Stuart Mill, les préceptes moraux fournis par les religions ont le double inconvénient, 1o d’être intéressés et d’agir sur l’individu par les promesses ou les menaces relatives à la vie à venir sans l’arracher entièrement à la préoccupation du moi ; 2o de produire une certaine « apathie intellectuelle » et même une « déviation du sens moral », en ce qu’ils attribuent à une perfection absolue la création d’un monde aussi imparfait que le nôtre et, en une certaine mesure, divinisent ainsi le mal même. « On ne saurait adorer un tel dieu de bon cœur, à moins que le cœur n’ait été préalablement corrompu. » La vraie religion de l’avenir, selon Stuart Mill, sera une morale élevée, dépassant l’utilitarisme égoïste et nous portant à poursuivre le bien de l’humanité entière, le bien même de l’ensemble des êtres. Cette conception d’une « religion de l’humanité », qui n’est pas sans analogie avec la conception des positivistes, pourra se concilier, ajoute Stuart Mill, avec la croyance en une puissance divine, en un « principe du bien » présent à l’univers. La foi en Dieu n’est immorale que si elle