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dissolution des religions.

M. Arnold aime à citer disait autrefois : « Un temps viendra où il y aura sur cette terre une famine, non la famine du pain ni la soif de l’eau, mais la famine et la soii d’ouïr les paroles de l’Éternel ; les hommes courront d’une mer à l’autre, du nord à l’orient, pour chercher la parole de l’Éternel, mais ils ne la trouveront point. » Ces temps prédits par le prophète, M. Arnold pourrait en reconnaître la venue ; n’est-ce pas de notre époque qu’on peut dire en vérité que la « parole de l’Éternel» lui manque ou va lui manquer bientôt. Un nouvel esprit anime notre génération ; non seulement on doute que l’ « Éternel » ait jamais parlé ou parle jamais à l’homme, mais beaucoup ne croient même plus à d’autre éternité qu’à celle de la nature muette et indifférente, qui ne révèle point son secret à moins qu’on ne le lui ravisse. Il y a bien encore aujourd’hui quelques serviteurs fidèles dans la maison du seigneur ; mais le maître, lui, semble parti pour les pays lointains du passé, d’où le souvenir seul revient. En Russie, dans les antiques domaines seigneuriaux, une plaque de fer est accrochée à la muraille ; quand le maître est revenu et passe en son domaine la première nuit du retour, le serviteur court à la plaque de fer, puis, dans le silence de la maison endormie mais peuplée désormais, il frappe le métal, il le fait résonner pour annoncer sa vigilance et la présence du maître. Qui fera vibrer ainsi la grande voix des cloches pour annoncer le retour en son temple du dieu vivant, la vigilance réveillée de tous les fidèles ? Aujourd’hui le tintement des cloches est triste comme un appel dans le vide ; il sonne la maison de Dieu déserte, il sonne l’absence du seigneur et le glas des croyances mourantes. Comment donc faire rentrer Dieu dans le cœur de l’homme ? Il n’y a qu’un moyen : en faire le symbole de la moralité, toujours vivante au fond de ce oœur. C’est à ce parti que, lui aussi, M. Arnold s’arrête. Mais il ne se contente pas de la moralité purement philosophique, il espère conserver la religion, et en particulier la religion du christianisme. Pour cela, il met en avant une nouvelle mélhode d’interprétation, la méthode « littéraire » et esthétique, qui cherche dans les textes seulement ce qu’il y a de plus beau et de meilleur moralement, en se disant que c’est peut-être encore là ce qu’il y a de plus vrai ; il essaie de reconstituer les notions primitives du christianisme dans ce qu’elles avaient de vague, d’indécis et en même temps de