Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
140
dissolution des religions.

sa première désobéissance marque sa première faute ; quand le désir s’est éveillé en lui pour la première fois, sa volonté a été vaincue, il a failli, il est tombé, mais cette chute est précisément la condition de son relèvement, de sa rédemption par la loi morale ; le voilà condamné au travail, au dur travail de l’homme sur lui-même, à la lutte contre la passion ; sans cette lutte qui le fortifie, jamais il ne verrait descendre en lui le dieu, le christ sauveur, l’idéal moral. Ainsi, « c’est dans l’évolution de la conscience humaine qu’il faut chercher l’explication des symboles chrétiens[1]. » Il faut dire d’eux ce que le philosophe Salluste dit de toutes les légendes religieuses dans son Traité des dieux et du monde : cela n’est jamais arrivé, et cela est éternellement vrai. La religion est la morale du peuple ; elle nous montre à tous, réalisés, di’inisés, les types supérieurs de conduite que nous devons nous efforcer d’imiter ici-bas ; les rêves dont elle peuple les cieux sont des rêves de justice, d’égalité dans le bien, de fraternité : le ciel est une revanche de la terre. N’employons donc plus les noms de Dieu, de Christ, de résurrection qu’à titre de symboles, vagues comme l’espérance. Alors, selon M. Matthew Arnold et ceux qui soutiennent la même thèse, nous nous mettrons à aimer ces symboles, notre foi trouvera à quoi se prendre dans la religion, qui auparavant semblait n’être qu’un tissu d’absurdités grossières. Derrière le dogme, qui n’en est que la surface, nous trouverons la loi morale, qui en est le fond. Cette loi, il est vrai, y est devenue concrète ; elle a pris, pour ainsi dire, une forme et une couleur. C’est que les peuples sont des poètes : ils ne pensent que par images, on ne les soulève qu’on leur montrant du doigt quelque chose. Après tout, qu’y a-t-il de mauvais à ce que les apôtres, entr’ouvrant l’éther bleu, aient montré tout là haut aux nations ébahies des trônes d’or, des séraphins, des ailes blanches et la multitude des élus agenouillés ? Ce spectacle a fasciné le moyen âge et parfois, quand nous fermons les yeux, nous croyons encore l’apercevoir. Cette poésie répandue sur la loi morale lui donne un attrait qu’elle n’avait pas tout d’abord en son austérité. Le sacrifice devient plus doux quand il apparaît couronné d’une auréole. Les premiers chrétiens n’aimaient pas à se représenter le Christ

  1. Outre M. Matthew Arnold, voir M. L. Ménard, Sources du dogme chrétien (Critique religieuse, janvier 1879).