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la foi symbolique et morale.

de la volonté de Dieu la règle de sa conduite ; le croyant libéral de nos jours affirme d’abord la loi morale, et la divinise ensuite. Il traite d’égal à égal, comme M. Arnold, avec le grand Javeh et lui tient à peu près ce langage : Es-tu une personne, je n’en sais rien ; as-tu eu des prophètes, un Messie, je ne le crois plus ; m’as-tu créé, j’en doute un peu ; veilles-tu sur moi en particulier, fais-tu des miracles, je le nie ; mais il y a une chose, une seule, à laquelle je crois, c’est ma moralité ; si tu veux bien t’en porter garant et mettre la réalité d’accord avec mon idéal, nous ferons un traité d’alliance : en affirmant ma propre existence comme être moral, j’affirmerai la tienne par-dessus le marché. — Nous sommes loin de l’antique Javeh, puissance avec laquelle on ne pouvait marchander. Dieu jaloux qui voulait que toutes les pensées de l’homme fussent pour lui seul, et qui ne faisait avec son peuple de traité d’alliance qu’en se réservant d’en dicter en maître les conditions.

Les plus distingués des pasteurs allemands, anglais ou américains finissent par rejeter tellement dans l’ombre la théologie au profit de la morale pratique, qu’on pourrait leur appliquer à tous ces paroles d’un journal américain, la North american review : « Un païen désireux de connaître les doctrines du christianisme pourrait fréquenter pendant une année entière nos églises les plus fashionables et ne pas entendre un mot sur les tourments de l’enfer ou sur le courroux d’un Dieu offensé. Quant à la chute de l’homme et aux souffrances expiatoires du Christ, on ne lui en dira que juste assez pour ne pas porter ombrage au disciple le plus fanatique de l’évolution. Écoutant et observant par lui-même, il arrivera à cette conclusion que la voie du salut consiste à confesser sa foi dans quelques doctrines abstraites, atténuées autant que possible par le prédicateur et par le fidèle, à fréquenter assidûment l’église ainsi que les réunions extrareligieuses, à laisser tomber une obole chaque dimanche dans la sébile, et à imiter l’altilude de ses voisins, » On relâche tellement le sens des termes qu’on en vient à considérer comme chrétiens tous ceux qui ont été formés par la civilisation chrétienne, tous ceux qui ne sont pas restés totalement étrangers au mouvement d’idées suscité dans l’Occident par Jésus et Paul. C’est un pasteur américain parti des dogmes étroits de Calvin[1] qui, après avoir employé sa longue vie à s’en dé-

  1. M. Henry Ward Beecher.