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la foi symbolique et morale.

appellent même les passants en leur offrant le vivre elle couvert. Ils ressemblent encore, — toujours selon M. de Hartmann, — à quelqu’un qui s’assied avec confiance sur une chaise après en avoir au préalable scié les quatre barreaux. Déjà Strauss avait dit ; « Quand on ne regarde plus Jésus que comme un homme, on n’a plus aucun droit de le prier, de le conserver comme centre d’un culte, de prêcher toute l’année sur lui, sur ses actions, ses aventures et ses maximes, surtout si les plus importantes de ses actions et de ses aventures ont été reconnues pour fabuleuses, et si ses maximes ont été démontrées incompatibles avec nos vues actuelles sur le monde et la vie. « Pour s’expliquer ce qu’il y a d’étrange dans la plupart des communions libérales, qui s’arrêtent toujours à mi-chemin de la liberté, il faut remarquer qu’elles sont généralement l’œuvre d’ecclésiastiques rompant avec l’Église dominante ; ces derniers, qui ont été prêtres, en gardent toujours quelque chose, l’habitude les a plies une fois pour toutes, ils ne peuvent pas plus penser sans les formules du dogme que nous ne pouvons parler sans les mots de notre langue ; même quand ils font effort pour apprendre un lang-age nouveau, il leur reste toujours un accent qui décèle leur origine. D’ailleurs ils sentent instinctivement qu’ils empruntent au nom du Christ une autorité, et ils ne peuvent pas renoncer à cette action spirituelle qu’ils veulent exercer en vue du bien. En Allemagne et en France même, outre les protestants libéraux que nous comptons en petit nombre, d’anciens catholiques ont cherché à sortir du catholicisme orthodoxe, mais ils n’ont pas osé sortir du christianisme. On connaît le père Hyacinthe[1]. En vain, entraînés par la logique, ceux qui

  1. Un autre, dont le nom a failli devenir célèbre il y a quelques années, le Dr Junqua, avait entrepris lui aussi de fonder une Église, l’Église de la liberté : tous ceux qui devaient y entrer étaient libres de croire à peu près ce qu’ils voulaient, l’athée même à la rigueur pouvait y être admis. L’Église en question devait avoir des attributs purement symboliques : — le baptême, c’est-à-dire le « symbole de l’initiation à la civilisation chrétienne, » la confirmation, c’est-à-dire le « symbole de l’enrôlement dans la milice de la liberté, » l’eucharistie ou agape religieuse, c’est-à-dire le symbole de fraternité humaine ; — ajoutons que ces sacrements n’avaient rien d’obligatoire et qu’on pouvait s’en abstenir entièrement si on voulait. Néanmoins on devait faire partie d’une Église, d’une communion ; on pouvait désigner sa foi propre sous un nom commun ; on était enfin en relations avec un prêtre, qui commenterait devant vous les maximes de l’Évangile, qui vous parlerait du Christ comme si vous croyiez en lui et comme s’il y croyait lui-même. L’Église du Dr Junqua eût facilement réussi en Angleterre à côté de M. Moncure Conway et des sécularistes.