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dissolution de la morale religieuse. — extase.

l’être moral, ici comme ailleurs, c’est l’amour maternel, qui souvent n’attend pas pour s’attacher l’existence de l’être aimé : la mère forme dans sa pensée et aime, longtemps avant qu’il naisse, l’enfant auquel elle donnera sa vie ; elle la lui donne même d’avance, se sent prête à mourir pour lui et par lui avant même de le connaître.

Pour les esprits vraiment élevés, elles resteront fécondes ces heures consacrées à former et à faire vivre intérieurement leur idéal, ces heures de recueillement, de méditation non seulement sur ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas, mais encore sur ce qu’on espère, sur ce qu’on tentera, sur l’idée qui veut être par vous, qui s’appuie sur votre cœur à le briser. La manière la plus haute de prier, ce sera encore de penser. Toute méditation philosophique a, comme la prière, quelque chose de consolant, non par elle-même, car elle peut porter sur de bien tristes réalités, mais indirectement, parce qu’elle élargit le cœur en élargissant la pensée. Toute ouverture sur l’infini nous donne cette impression rude et pourtant rafraîchissante de l’air du large, dans lequel la poitrine se dilate. Nos tristesses se fondent dans l’immensité comme les eaux venues de la terre se fondent dans l’eau bleue des mers, où elles viennent se pénétrer de ciel.

Quant à ceux qui ne se sentent pas de taille à penser par eux-mêmes, il sera toujours bon de repenser les pensées d’autrui qui leur paraissent les plus hautes et les plus nobles. Sous ce rapport, la coutume protestante de lire et de méditer la Bible est excellente en son principe ; le livre seul est mal choisi. Mais il est bon qu’un certain nombre de fois par jour ou par semaine l’homme s’habitue à lire ou à relire autre chose qu’un journal ou un roman, qu’il puisse se tourner vers quelque pensée sérieuse et s’y complaire. Peut-être un jour viendra où chacun se fera à lui-même sa Bible, recueillera parmi les penseurs de l’humanité les passages qui lui paraîtront les plus profonds, les plus beaux, et les relira, se les assimilera. Lire un livre sérieux et élevé, c’est retourner en soi-même les grandes pensées humaines : admirer, cela aussi est prier, et c’est une prière à la portée de tous.