Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
205
le protestantisme est-il une transition nécessaire ?

vité, ont fondé des journaux, écrit dans les revues ; des brochures, des ouvrages parfois remarquables ont été composés et répandus. Les protestants ont plus que les catholiques l’esprit de prosélytisme, précisément parce que leur foi est plus personnelle ; ils sentent qu’ils forment dans un bon nombre de provinces un noyau important, qui peut s’accroître et faire la boule de neige. Déjà plusieurs villages de l’Yonne, de la Marne, de l’Aude, etc., ont été convertis ; malgré tous les obstacles apportés par l’autorité civile et religieuse, malgré des vexations et des péripéties de toutes sortes, les néophytes ont fini par appelei un pasteur protestant parmi eux. Ces résultats sont minimes au point de vue matériel ; ils pourraient avoir un jour de l’importance au point de vue moral. On ne se doute jamais combien, dans notre bonne et crédule humanité, il y a de gens prêts à écouter et à croire, d’autres à prêcher et à convertir. Il ne faudrait donc pas s’étonner de voir un jour des pasteurs protestants sortir de dessous de terre et parcourir nos campagnes. Le clergé catholique, maintenant formé presque tout entier d’incapacités, aurait peine à tenir contre un parti nouveau et ardent.

Les adversaires les plus sérieux d’une rénovation protestante ne sont pas, en France, les catholiques ; ce sont les libres-penseurs. C’est au nom de la libre-pensée que nous examinerons la question suivante : — Notre pays doit-il se proposer pour idéal une religion quelconque, fût-elle supérieure à celle qu’il est censé professer actuellement ? Prendre une religion comme but, n’est-ce pas précisément aller à l’encontre du grand mouvement qui entraîne la France depuis la Révolution ?

On a dit que, si la Révolution française a été étouffée sans produire tous les résultats qu’on attendait d’elle, c’est précisément qu’elle a été faite non pas au nom d’une religion libérale, mais contre toute religion. La nation s’est soulevée tout entière contre le catholicisme, mais elle n’avait pas de quoi le remplacer ; c’était un effort dans le vide, après lequel elle devait nécessairement retomber inerte sous la domination de son ennemi. — Adresser un tel reproche à la Révolution, c’est méconnaître précisément ce qui la rend unique dans le monde. Jusqu’à présent la religion avait été la plupart du temps mêlée aux dissensions politiques des hommes. La révolution d’Angleterre, par exemple, était en partie religieuse. Quand par hasard on se soulevait contre un culte éta-