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le protestantisme est-il une transition nécessaire ?

concordats et les empires. Malgré tant d’écarts passagers, on peut déjà connaître assez la direction vers laquelle la Révolution tend, pour affirmer que cette direction n’est pas religieuse ; la Révolution française a même été, pour la première fois dans le monde, un mouvement libéral et égalitaire en dehors de toute religion. Vouloir avec Quinet que la Révolution se fît protestante, c’est ne pas la comprendre ; républicaine dans l’ordre politique, la Révolution tendait aussi à affranchir la pensée de toute domination religieuse, de toute croyance dogmatique uniforme et irrationnelle. Elle n’a pas atteint ce but du premier coup, et surtout elle a imité l’intolérance même des catholiques ; c’est sa grande faute, c’est son crime ; nous en souffrons encore. Mais le remède n’est pas dans l’adoption d’une religion nouvelle, qui ne serait qu’un retour déguisé au passé.

Examinons cependant la substantielle apologie du protestantisme qu’a présentée M. de Laveleye. Il a montré la supériorité de la religion protestante sur trois points principaux : 1o elle est favorable à l’instruction ; 2o elle est favorable à la liberté politique et religieuse ; 3o elle ne possède pas un clergé vivant dans le célibat, hors de la famille et même hors de la patrie. Reprenons ces divers points. Dans le protestantisme, le besoin de s’instruire et pour cela de savoir lire est une nécessité, par cette raison que, comme on l’a remarqué souvent, le culte réformé repose sur un livre, la Bible. Le culte catholique au contraire repose sur les sacrements et sur certaines pratiques, comme la confession et la messe, qui n’exigent point la lecture. Aussi le premier et le dernier mot de Luther a été : « Instruisez les enfants, c’est un commandement de Dieu. » Pour le prêtre catholique, la lecture n’a pas d’avantage certain au point de vue religieux, et elle offre des dangers, car elle est la voie qui peut conduire à l’hérésie. L’organisation de l’instruction populaire date de la Réforme. La conséquence c’est que les États protestants sont beaucoup plus avancés sous le rapport de l’instruction populaire que les pays catholiques[1]. Partout où l’instruction est plus répandue, le travail sera

  1. Tous les États protestants. Saxe, Danemark, Suède, Prusse, Écosse (sauf l’Angleterre), ont le minimum d’illettrés. Les pays catholiques les plus favorisés, comme la France et la Belgique, ont un tiers au moins d’ignorants. Dans ce contraste, la race n’est pour rien ; on peut le vérifier en Suisse : les