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la religion et l’irréligion chez l’enfant.

duelle. Au fond, ce n’est point une si mauvaise chose que cinquante-cinq mille personnes en France soient ou paraissent occupées d’autres soucis que de leurs soucis matériels. Sans doute on ne romplitjamais la tâche qu’on s’est donnée, et l’idéal désintéressement du prêtre est rarement une réalité ; pourtant il est bon que quelques hommes poursuivent ici-bas une tâche au-dessus de leurs forces : tant d’autres en poursuivent qui sont au-dessous d’eux !

Ce n’est pas d’ailleurs dans un pays exclusivement conquis à une religion, et où nul ne conteste la suprématie du prêtre, qu’il faut voir celui-ci à l’œuvre ; c’est tout au contraire dans les pays divisés entre plusieurs croyances, par exemple en partie protestants, en partie catholiques. Le pasteur se trouve alors en quelque sorte le concurrent du curé, et tous deux rivalisent d’activité et d’intelligence. C’est ce qui se produit dans telle région du Dauphiné, de l’Alsace, dans beaucoup de pays étrangers. Par cette lutte pour la vie des deux religions le zèle des prêtres est ranimé : c’est à qui fera le plus de bien parmi les siens ou donnera les meilleurs conseils pratiques, la meilleure instruction aux enfants. Le résultat, facile à prévoir, c’est que la population ainsi divisée en protestants et catholiques est plus instruite, plus éclairée, d’une moralité supérieure à celle de beaucoup d’autres contrées entièrement catholiques et romaines.

Un progrès désirable dans les pays catholiques, c’est d’abord que le prêtre jouisse d’une entière liberté civile, puisse quitter l’Église dès qu’il le voudra sans se trouver déplacé dans la société, qu’il soit libre de se marier et jouisse absolument de tous les droits du citoyen. Laseconde chose essentielle est que le prêtre, qui est un des éducateurs du peuple, reçoive lui-même une éducation plus élevée que celle qu’il reçoit aujourd’hui. L’État, loin de chercher à diminuer le traitement des prêtres, — bien mince économie, — pourrait au besoin l’augmenter, mais en exigeant alors des diplômes analogues à ceux des instituteurs, des connaissances scientifiques et historiques étendues, des connaissances d’histoire religieuse[1]. Déjà quelques curés

  1. Ne pourrait-on, dès maintenant, assigner des traitements plus élevés aux prêtres qui se trouveraient munis de certains diplômes laïques, comme celui de bachelier, de licencié, etc., et qui, par là même, seraient des éducateurs et des moralistes d’un esprit plus scientifique, plus moderne ?