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dissolution des religions.

recommencement de la perpétuelle évolution ; qu’il reste de nous le bien que nous avons fait, que nous vivons dans l’humanité par nos bonnes actions et nos grandes pensées : que l’immortalité est la fécondité de la vie. Le spiritualiste lui parlera de la distinction de l’âme et du corps, qui fait que la mort est une délivrance. Le panthéiste ou le moniste lui répétera la parole vieille de trois mille ans : Tat twam asi, Tu es cela, et l’enfant moderne se persuadera, comme le jeune brahmane, qu’il y a sous la surface des choses une unité mystérieuse dans laquelle l’individu peut rentrer et se fondre. Enfin le kantien tâchera de lui faire comprendre qu’il y a dans le devoir quelque chose d’antérieur et de supérieur à la vie présente ; que prendre conscience du devoir, c’est prendre conscience de sa propre éternité. Chacun parlera ainsi à l’enfant selon ses opinions personnelles, en se gardant toutefois de prétendre que son opinion soit la vérité absolue. L’enfant, traité ainsi en homme, apprendra de bonne heure à se faire lui-même une croyance, sans la recevoir d’aucune religion traditionnelle, d’aucune doctrine immuable ; il apprendra que la croyance vraiment sacrée est celle qui est vraiment raisonnée et réfléchie, vraiment personnelle ; et si, par moments, lorsqu’il avance en âge, il ressent plus ou moins l’anxiété de l’inconnu, tant mieux : cette anxiété, où les sens n’ont point de part et où la pensée seule est en jeu, n’a rien de dangereux : l’enfant qui l’éprouve sera de l’étoffe dont on fait les philosophes et les sages.