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introduction.

certains philosophes raffinés se demandent si la vérité et la clarté auront l’avantage dans l’art, dans la science, dans la morale, dans la religion ; ils en arrivent même à préférer l’erreur philosophique ou religieuse comme plus esthétique. Pour notre part, nous sommes loin de rejeter la poésie et nous la croyons excessivement bienfaisante pour l’humanité, mais à la condition qu’elle ne soit pas dupe de ses propres symboles et n’érige pas ses intuitions en dogmes. À ce prix, nous croyons que la poésie peut être très souvent plus vraie et meilleure que certaines notions trop étroitement scientifiques ou trop étroitement pratiques. Nous ne nous ferons pas faute, pour notre compte, de mêler souvent dans ce livre la poésie à la métaphysique. En cela nous conserverons, dans ce qu’il a de légitime, un des aspects de toute religion, le symbolisme poétique. La poésie est souvent plus « philosophique » non seulement que l’histoire, mais que la philosophie abstraite ; seulement, c’est à la condition d’être sincère et de se donner pour ce qu’elle est.

— Mais, nous diront les partisans des « erreurs bienfaisantes, » pourquoi tant tenir à dissiper l’illusion poétique, à appeler les choses par leur nom ? N’y a-t-il pas pour les peuples, pour les hommes, pour les enfants, des erreurs utiles et des illusions permises[1] ? — À coup sûr. on peut considérer un grand nombre d’erreurs comme ayant été nécessaires dans l’histoire de l’humanité : mais le progrès ne con-

  1. Voir 2e partie, ch. IV.