Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/309

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
271
la religion et la fécondité des races.

groupe aryen, et surtout chez les Grecs, que sont nés la haute science et le grand art ; c’est de là qu’ils ont passé à d’autres Aryens, puis aux autres races humaines.

Michelet comparait le trésor de science et de vérité amassé par l’esprit humain à cet œuf qu’un esclave portait dans les cirques de Rome, à la fin des fêtes, au milieu des grands lions repus et endormis. Si l’une des bêtes fauves rouvrait les yeux, se sentait prise d’une convoitise à la vue de cet homme porteur de l’œuf et symbole du génie humain, l’esclave était perdu. De nos jours, où le génie est infiniment moins persécuté qu’autrefois et ne court plus le risque des arènes ou du bûcher, il semble que l’intelligence humaine, l’œuf sacré d’où sortira l’avenir n’ait plus à craindre aucun danger ; c’est une erreur. Précisément parce que l’intelligence humaine s’enrichit sans cesse, son trésor devient si considérable, cette richesse intellectuelle devient si délicate à conserver tout entière, qu’on peut se demander s’il se trouvera une suite de peuples assez bien doués pour retenir et augmenter sans cesse les acquisitions de la science. Jusqu’alors, dans leur voyage sans fin à travers les âges, ces vérités-là ont seules survécu pour jamais qui étaient simples ; de nos jours la rapidité même du progrès scientifique peut nous donner des inquiétudes sur sa durée : la complexité extrême de la science peut faire craindre qu’il n’existe pas continuellement des peuples assez élevés dans l’échelle humaine pour l’embrasser tout entière, pour la faire progresser par des spéculations constantes. Supposez, par exemple, que le monde se trouve brusquement réduit à l’Afrique, à l’Asie, à l’Amérique du Sud, où la race espagnole n’a pas encore produit un seul génie scientifique, l’œuvre scientifique de notre siècle ne courrait-elle pas risque d’avorter ? Heureusement il dépend des grandes nations de ne pas disparaître. Les races anglo-saxonnes et germaniques couvrent aujourd’hui le monde de leurs enfants et de leurs colonies. Mais il est triste de penser qu’un des trois ou quatre grands peuples européens, qui, à lui seul, compte pour un chiffre considérable dans les chances totales du progrès humain, travaille de gaieté de cœur à s’anéantir lui-même.

L’humanité arrivera tôt ou tard à une fusion des races : c’est cette fusion qui se produit déjà en Amérique, le Serfectionnement des voies de communication la hâtera ans le monde entier. L’Europe déborde maintenant sur