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la religion et la fécondité des races.

le sang et le souvenir, solidaires les uns des autres par le nom et l’honneur, qui sont après tout la patrie en germe ; laisser s’éteindre ou diminuer sa famille, c’est travailler autant qu’il est en nous à diminuer la patrie et l’humanité même. Le nom de patriote dont on s’est moqué parfois, et qui pourtant est un beau nom, convient avant tout au père de famille. La paternité, dans son sens le plus entier, c’est-à-dire l’éducation jusqu’à l’âge d’homme d’une génération nouvelle, c’est, après tout, ce qu’il y a de plus sûr et de plus solide dans le patriotisme, c’est le patriotisme même à la portée de tous.

C’est surtout en France, nous l’avons vu, que le problème de la population se pose d’une manière inquiétante, et nous devons y insister. On a dit avec raison qu’il n’y a pas aujourd’hui pour la France plusieurs dangers, mais un seul, qui est le vrai péril national : celui de disparaître faute d’enfants[1]. Il existe pour une nation deux moyens de capitaliser : 1o faire des dépenses productives, et travailler de manière à gagner plus encore qu’on ne dépense ; 2o dépenser le moins possible, et travailler aussi le moins possible ; la France emploie le second moyen depuis le commencement de ce siècle : elle économise ses enfants, ralentit son courant de vie et de circulation. Elle a beaucoup thésaurisé de cette façon ; mais ses économies ont été consacrées en partie au payement d’une indemnité de cinq milliards, en partie aux emprunts du Mexique, de Turquie, d’Égypte, à des spéculations de toute sorte : quel a été le résultat final de ces économies faites à l’aveugle ? Un appauvrissement graduel.

En dehors de ceux qui sont féconds par irréflexion et par un simple abandon au hasard, il n’y a plus guère en France que les croyants catholiques, protestants et juifs à maintenir une certaine fécondité de la race. Il existe sans doute, parmi les maris français, un très petit nombre de « bons vivants » qui entendent avoir toutes leurs aises et trouvent que restreindre la race est aussi limiter le plaisir ; mais ces gens-là sont beaucoup plus rares qu’on ne pourrait le penser sur la vieille terre gauloise : Malthus y a aujourd’hui des disciples infiniment plus nombreux que Rabelais. Quant à ceux qui restent féconds non plus par plaisir ou par hasard, mais par patriotisme et par philosophie, ils sont tellement rares

  1. M. Richet.