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la religion et la fécondité des races.

campagnes, il n’est personne qui n’ait été témoin de la situation déplorable où se trouvent réduits certains vieillards, contraints à mendier aux voisins ou même sur les grandes routes une existence qui leur est refusée dans leur propre maison. La loi française actuelle est tout à fait désarmée à l’égard d’une ingratitude filiale qui ne se traduit pas par des voies de fait, mais par de simples injures. Elle annule les donations faites à un ingrat, n»ais on ne peut pas annuler la donation de la vie, et les enfants ingrats bénéficient de cette situation. Le père devrait pouvoir compter au moins sur un minimum exigible de ses enfants, quel que fut leur caractère[1].

Si, comme il est probable, le principe de l’assurance sociale vient un jour à prévaloir, et si on forme, par une retenue régulière au profit de chaque travailleur et pour ses vieux jours un capital que le patron et l’État accroîtront eux-mêmes par une redevance, nous croyons qu’il sera équitable d’accroître plus fortement la masse attribuée au père de famille et de diminuer d’autant la masse attribuée au célibataire : le premier a en effet dépensé davantage pour l’État et lui a légué davantage ; il a capitalisé pour l’État en élevant pour lui une généra-

  1. Nous n’avons pas à entrer ici dans les détails de l’application. Peut-être la loi ne serait-elle que juste en donnant aux parents dans le besoin le choix entre l’habitation chez leurs enfants, rendue si souvent très pénible, et une somme annuelle, proportionneile au salaire ou aux ressources des enfants, dont elle fixerait le minimum. Cetti^ somme pourrait être perçue par l’État ou la commune et payée par lui au vieillard. Tout père de famille ne tarderait pas à réfléchir que, s’il est un jour dans le besoin et s’il n’a qu’un enfant, il aura droit simplement à une somme donnée ; tandis que, avec dix enfants, il aura droit à la même somme décuplée, peut-être centuplée si quelqu’un d’entre eux s’est enrichi. Une nombreuse famille constituerait ainsi un gage d’indépendance pour le père ; d’autre part, plus celui-ci dépenserait en frais d’éducation, plus il aurait chance de retrouver plus tard l’équivalent. En travaillant à l’augmentation du capital social, il se serait créé à lui-même une sorte d’épargne pour ses vieux jours. - Même en supposant que l’application entière d’une loi de ce genre lût très difficile dans la pratique, il faudrait néanmoins que le droit des parents à une gratitude vraiment active fût reconnu et consacré par un article formel de la loi, traçant aux enfants une ligne de conduite, fixant même une certaine proportionnalité entre leur gain et leurs redevances annuelles à leurs parents. Il faudrait que la loi même contribuât à effacer du langage courant, surtout pour ceux qui ont rempli largement les devoirs de la paternité, ces mots honteux : » être à la charge de ses enfants » ; il faudrait qu’un s’habituât à considérer ce genre de charge non comme un accident pour les enfants, comme un malheur et presque une honte pour les parents, mais comme la conséquence même et l’exercice d’un droit légal.