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la religion et la fécondité des races.

drait que la loi favorisât l’émigration. Dès maintenant il’après des calculs sérieux, on estime à 30 000 au moins, à 40 000 au plus, le nombre des Français qui s’expatrient chaque année ; chiffre relativement restreint, mais avec lequel on pourrait cependant peupler d’importantes colonies[1]. Il est peu scientifique de soutenir, encore aujourd’hui, que la race française soit incapable de coloniser, alors qu’elle a aidé si puissamment à la formation de grandes colonies anglaises, le Canada, l’Inde, l’Égypte même ; qu’elle est en train de créer l’Algérie et la Tunisie. Ce qui nous manque, ce n’est pas la faculté de coloniser, mais l’habitude d’émigrer. L’émigration, malgré l’importance relative qu’elle a déjà prise chez nous, existe surtout dans certaines contrées pauvres de la France ; elle s’est trop insuffisamment généralisée pour avoir pu encore relever la masse de la natalité : il dépendrait de la loi de contribuer ici à corriger les mœurs. En Angleterre, sur quatre fils, on en compte le plus souvent un aux Indes, un autre en Australie, un autre en Amérique : rien d’étonnant à cela ; c’est la coutume. Le sentiment des distances existe à peine de l’autre côté du détroit. En France, si un seul enfant s’expatrie, fût-ce par exemple comme secrétaire d’ambassade, on lui fait des adieux aussi solennels que s’il s’agissait d’un départ sans retour, de la mort même. Il y a beaucoup de préjugés et d’ignorance dans ces angoisses paternelles. Telle profession sédentaire, celle de médecin par exemple, a des périls que la statistique rend frappants et que nous ne redoutons cependant point pour nos enfants, précisément parct qu’ils Bont plus voisins de nous et qu’il n’est pas nécessaire tl’aller les chercher au bout du monde. Ces préjugés nationaux se guériront par l’instruction, par l’habitude croissante des voyages, par la circulation toujours plus précipitée dans les artères du grand corps social : les lois peuvent favoriser cette circulation. L’esprit d’entreprise et de colonisation, qui semble au premier abord si étranger à l’esprit de famille, s’y rattache pourtant ; il en est à certains égards la condition même. Élever une nombreuse famille, c’est

  1. Pour apprérier la puissance de colonisation de la France, il ne faut pas comparer ce chiffre avec celui de l’émigration dans les autres pays, mais avec le chiffre de l’excédent actuel de notre natalité. Par rapport à ce nouveau point de comparaison, le nombre de 40,000 émigrants (adopté par M. Paul Leroy-Beaulieu) devient considérable, puisque l’excédent annuel de nos naissances n’est pas de 100,000.