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une nouvelle religion est-elle possible ?

durée ; celui qui passe son existence au bord de l’Océan n’en a plus peur, ou tout au moins n’éprouve plus l’émotion violente de celui qui n’a jamais vu une tempête. Si nous n’avions jamais regardé le ciel étoile, il nous épouvanterait comme un abîme le premier jour où nous porterions la tête en haut ; aujourd’hui sa vue est plutôt pour nous un calmant, un moyen d’élever l’âme sans secousse. Pour apaiser les violences du sentiment religieux il suffit donc, après l’avoir purifié, de le laisser pénétrer toute notre existence, de faire qu’il nous soit toujours présent, de nous accoutumer à l’infini.

Une dernière condition serait indispensable au succès d’une religion nouvelle : il faudrait qu’elle fût vraiment nouvelle, qu’elle apportât une idée à l’esprit humain. Parmi les misérables tentatives religieuses qui se sont produites de nos jours d’un bout du monde à l’autre, rien d’original n’a surgi. En Amérique, une religion d’apparence nouvelle, le mormonisme, s’est propagée avec quelque succès ; elle est, parmi les tentatives religieuses modernes, la seule qui se soit enveloppée du cortège des prophéties et des révélations miraculeuses, indispensable à une véritable religion dogmatique ; elle a, elle aussi, son livre et sa Bible, et même elle compte dans sa légende une prosaïque histoire de lunettes merveilleuses destinées à la lecture du livre. Le dieu mormon, plus instruit que celui de la Bible, a aujourd’hui des notions d’optique. Mais, pour qui va au fond des doctrines mormones, elles ne sont qu’un retour aux idées et aux mœurs juives : tout, dans cette religiun, est une répétition, une copie de légendes et de croyances surannées, auxquelles rien n’a été ajouté que de trivial ; elle est à notre époque un anachronisme. Elle semble déjà arrivée d’ailleurs à la limite de son développement : le nombre de ses adhérents n’augmente plus. Le brahmaïsme hindou, lui, est un spiritualisme éclectique et mystique sans une seule idée vraiment neuve. Le comtisme, qui ne prend de la religion que les rites, est un essai pour maintenir la vie dans un corps dont on a arraché le cœur. Les spirites sont ou des charlatans ou des empiriques qui constatent, sans les expliquer scientifiquement, certains phénomènes encore mal connus du système nerveux : le charlatanisme n’a jamais rien fondé de durable dans le domaine religieux. Comparer le mormonisme américain ou le spiritisme au christianisme naissant, c’est exposer à faire sourire en rapprocliant des choses sans commune