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une nouvelle religion est-elle possible ?

ainsi dire, de la racine des cheveux à la plante des pieds Aussi le bouddhisme et le christianisme, sur beaucoup de points, ont-ils abouti à des avortements. Si les premiers apôtres qui ont prêché ces religions revenaient parmi nous, par combien de côtés ils retrouveraient l’humanité encore la même à travers des milliers d’années ! Il s’est sans doute produit un progrès intellectuel, qui a fixé un certain nomlare d’idées morales, mais ce progrès intellectuel, très complexe, n’est pas tout entier du fait des eligions : il ne s’était pas produit encore dans le petit nonibre de cœurs simples groupés autour de la « parole nouvelle » en qui les apôtres, pourtant, purent déjà voir se réaliser plus ou moins leur idéal religieux et moral. Ces primitives vertus, toutes religieuses et non scientifiques, en s’étendant à l’humanité, se sont nécessairement corrompues : une morale d’abnégation exaltée ne peut réussir qu’auprès d’un petit groupe, d’une famille, d’un couvent séquestré artificiellement du reste du monde ; elle échoue nécessairement quand elle s’adresse et s’étend à l’humanité entière. Celle-ci est un milieu trop large et trop mouvant, où certaines semences ne peuvent s’implanter et fructifier : on ne sème pas sur la mer. Recommencer aujourd’hui les épopées religieuses du christianisme et du bouddhisme, ce serait aboutir à un échec, car ce serait toujours vouloir développer à l’extrême le cœur humain avant d’avoir développé proportionnellement son cerveau. Cette culture aboutissant à un manque d’équilibre, à une sorte de monstruosité naturelle dans la floraison, peut réussir pleinement sur des individus, mais non sur des races. C’est pourquoi le chercheur qui, aujourd’hui, ajoute la plus petite parcelle de vérité à la masse des connaissances scientifiques ou philosophiques déjà acquises, peut faire une œuvre beaucoup moins brillante, mais parfois plus définitive que l’œuvre purement religieuse d’un Messie. Il est de ceux qui construiront, non pas en trois jours, mais dans la lenteur des âges, l’édifice sacré qu’on ne détruira plus.

La conséquence la plus essentielle de toute religion positive, le culte, n’est pas moins difficile que le dogme à concilier avec l’esprit des sociétés futures. Le fond du culte, nous l’avons vu, c’est le rite, produit de l’habitude et de la tradition. Or, on l’a dit avec raison, l’une des marques caractéristiques de l’esprit novateur et de la supériorité intellectuelle, c’est le pouvoir de dissocier les associations d’idées, de ne pas se sentir entraîné par les