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l’irréligion de l’avenir.

ger, impuissante à satisfaire les désirs ambitieux qui s’agitent chez beaucoup d’entre nous. Le socialisme, soutenu aujourd’hui par les révoltés, aurait besoin au contraire, pour sa réalisation, des gens les plus paisibles du monde, les plus conservateurs, les plus bourgeois ; il ne donnera jamais un aliment suffisant à cet amour du risque qui est si vif en certains cœurs, qui porte à jouer le tout pour le tout, — toute la misère contre toute la fortune, — et qui est un des facteurs essentiels du progrès humain.

On fait tous les jours des essais de socialisme pratique : c’est l’association phalanstérienne de M. Godin en France, ce sont les associations des disciples de Cabet en Amérique ; ce sont d’autres d’un caractère plus purement religieux, comme celle des quakers, des shakers, etc., et enfin les sociétés de production, de consommation, de crédit. Toutes ces tentatives franchement ou indirectement socialistes n’ont jamais réussi qu’à condition que leurs promoteurs n’aient pas trop voulu faire grand, englober trop de gens dans leur petit groupe ; ils reconnaissent tous aujourd’hui qu’ils sont forcés de maintenir à l’écart certaines incapacités intellectuelles ou morales. Le socialisme ne se réalise qu’avec une petite société triée sur le volet. Même les théoriciens qui, se contentant d’associer l’ouvrier aux bénéfices du patron, y voyaient la panacée universelle, reconnaissent aujourd’hui que la participation aux bénéfices constitue un remède pour beaucoup, non pour tous, que tous les ouvriers ne sont pas assez patients ni laborieux pour se plier aux conditions très simples que réclame la participation. Ces hommes impropres à la vie d’association, ces individuahtés résistantes, on se borne à les mettre aujourd’hui hors de la petite société qu’on a formée ; on serait forcé de les mettre nors la loi et d’en faire des parias si cette petite société enveloppait le monde. Le socialisme se détruirait lui-même en voulant s’universaliser.

Toute découverte scientifique passe nécessairement par trois périodes distinctes : la période dépure théorie, la période d’application en petit dans les laboratoires, la période d’application en grand dans l’industrie. Aussi arrive-t-il à tout moment qu’une idée se trouve arrêtée dans la sphère de la théorie sans pouvoir passer dans la pratique, ou bien que, réalisée en petit dans le monde artificiel du laboratoire, elle avorte quand il s’agit d’une réalisation en grand dans l’industrie. S’il en est ainsi de toutes les idées scien-