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la dissolution des religions.

firee aujourd’hui ; il a besoin de toutes à la fois, et encore de quelque chose par delà, car sa pensée a devancé ses dieux.

Sous les voûtes sonnantes des vieilles cathédrales retentissent tant d’échos et de voix diverses, qu’on a dû parfois tendre au travers de la nef un immense filet pour arrêter au passage les ondes sonores et pour permettre à la voix du prêtre d’arriver seule à l’oreille des fidèles. Ce filet, invisible d’en bas, qui isole la parole sacrée et refuse à toute autre la sonorité, il est tendu non seulement au travers des nefs des cathédrales, mais au cœur même des vrais croyants. C’est ce léger et invisible filet qu’il nous faut tout d’abord déchirer, afin que nulle voix sortant du monde ne soit interceptée avant d’arriver jusqu’aux hommes : la vraie « parole sacrée » n’est pas une parole solitaire, c’est la symphonie de toutes les voix résonnant ensemble sous la voûte du ciel.

Je causais un jour avec M. Renan de l’affaiblisscment graduel de la parole religieuse, de ce silence où est tombé le Verbe divin qui jadis emplissait seul le monde ; aujourd’hui, c’est le Verbe de la nature et de l’humanité, c’est la pensée et le sentiment absolument libres qui se substituent aux oracles, aux révélations surnaturelles, à toute la dogmatique religieuse. M. Renan, avec cette ouverture d’esprit qui lui est habituelle et qui est faite d’ailleurs de beaucoup de scepticisme, ne tarda pas à abonder dans mon sens : « Oui, c’est bien cela, disait-il, l’irréligion est le but vers lequel nous marchons. Après tout, pourquoi l’humanité ne se passerait-elle pas de dogmes ? La spéculation remplacera la religion. Déjà, chez les peuples les plus avancés, les dogmes se désagrègent, un travail intérieur brise, éparpille ces incrustations de la pensée. En France, nous sommes déjà, pour la plupart, des irréligieux ; un homme du peuple ne croit guère plus que le savant : il a son petit fonds d’idées à lui, plus ou moins naïves ou profondes, sur lesquelles il vit sans avoir besoin de s’adresser au prêtre. En Allemagne, Je travail de décomposition des dogmes est aussi très avancé. En Angleterre, il commence, mais il va vile. Le christianisme semble partout avoir pour aboutissant naturel la libre pensée. Le bouddhisme et l’hindouisme, de même : dans les Indes, la plupart des hommes intelligents sont libres penseurs ; en Chine, il n’y a pas de religion d’État. Oui, ce sera long, mais la religion s’en ira, et on