Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
334
l’irréligion de l’avenir.

de ce qui est au delà de la sphère des sens ; » mais tel est précisément le propre de la pensée philosophique : c’est donc la philosophie en son entier, non pas seulement la religion, qui se trouve englobée par la définition de Spencer. Bien plus, c’est en un sens la science même, car la science, s’occupant de tout ce qui tombe sous la perception ou le raisonnement, cherche par cela même à fixer la limite où leur pouvoir s’arrête : elle touche ainsi indirectement à la sphère de 1’ « inconnaissable », sinon pour la pénétrer, du moins pour la délimiter, ce qui est déjà une sorte de connaissance négative. Le savoir est essentiellement critique et doit se critiquer lui-même. Qu’il faille admettre l’éternité de la philosophie et de la science, cela ne nous semble pas douteux ; mais qu’on en doive conclure, comme Spencer, la pérennité de la religion avec tout ce qu’on entend d’habitude par ce mot, rien de moins prouvé.

Pour Spencer, l’inconnaissable même n’est pas absolument négatif. Au milieu des mystères qui deviennent d’autant plus mystérieux qu’on y réfléchit davantage, il restera toujours, dit-il, une certitude absolue pour l’homme, « c’est qu’il se trouve en présence d’une énergie infinie et éternelle, source de toutes choses. » — Cette formule de la certitude humaine est bien contestable. D’abord le savant admet plutôt une infinité d’énergies qu’une énergie infinie : ce qui substituerait au monisme une sorte d’atomisme mécanique, une division à l’infini de la force. De plus, la religion ne saurait se borner à affirmer l’existence d’une énergie ou d’une infinité d’énergies éternelles. Elle a besoin d’admettre un rapport quelconque entre ces énergies et la moralité humaine, entre la direction de ces énergies et la tendance qui nous porte à faire le bien. Or, un rapport de ce genre est tout ce qu’il y a de plus sujet à doute dans l’évolutionnisme. Nous croyons qu’il faut, sur ce point, faire des hypothèses et le plus d’hypothèses possible ; mais, loin d’offrir un caractère de certitude, ces hypothèses offriraient plutôt, au point de vue de la science pure, un caractère d’improbabilité. La moralité humaine, si on ne la considère que scientifiquement, est une question d’espèce, non une question concernant l’univers. Ce qui distingue des dieux les forces naturelles admises par la science moderne, c’est précisément qu’elles sont indifférentes à notre moralité. Rien de certainement divin ne nous est apparu dans le monde, malgré l’admiration