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l’irréligion de l’avenir.

certain nombre de progrès nécessaires, non seulement dans ses formes, mais dans ses moyens extérieurs de manifestation. Remarquons combien les représentations de l’église ou du temple sont mieux organisées au point de vue hygiénique que celles des arts. Point ou peu de veillées, des édifices immenses où l’on respire largement, où la température est à peu près constante ; enfin un exercice esthétique qui est une réparation, au lieu d’être une dépense. Comparez à cela les salles de concert, les théâtres, où l’on s’entasse sous des lustres trop brillants, où l’on s’enfièvre, où l’on se dépense de cent façons, d’où l’on sort fatigué, affaibli physiquement et cependant excité, poursuivi par des images sensuelles. Les architectes des églises entendaient infiniment mieux l’hygiène que ceux de nos théâtres. En voulant enfermer le ciel sous leurs voûtes immenses, ils ont deviné vaguement qu’il fallait, pour la poitrine des hommes comme pour leur cœur, de l’air, et encore de l’air. Chez les Grecs, là où l’art était une véritable religion, on ne connaissait que les théâtres en plein jour et en plein air, où le corps pouvait véritablement se reposer, pendant que l’esprit se laissait emporter aux fantaisies de l’art.

Comme l’art profane actuel doit subir quelques transformations pour satisfaire pleinement les tendances d’une nature saine et bien équilibrée, l’art religieux devra, pour se survivre en ses plus hautes tendances, se dépouiller des éléments qui semblent précisément le constituer aujourd’hui, le merveilleux du fond et le convenu de la forme. Tout art, nous l’avons vu, a longtemps eu besoin du merveilleux pour captiver les hommes : le grand art aujourd’hui cesse d’y faire appel. D’un autre côté, tout art a commencé aussi par le convenu, le conventionnel, le cérémonial, et s’en affranchit par degrés. On peut même établir cette loi générale : plus les arts deviennent parfaits, plus ils deviennent expressifs, c’est-à-dire plus ils cherchent à traduire au dehors le sentiment ; d’autre part, plus ils sont expressifs et traduisent le sentiment qu’ils veulent exprimer, plus ils excluent le convenu et le pompeux. Toute expression qui serait une traduction amplifiée et exagérée de l’émotion est supprimée. L’artiste, vis-à-vis de l’émotion intérieure, se trouve dans la même position que le traducteur d’une grande œuvre : sa traduction semblera aujourd’hui d’autant plus parfaite qu’elle serrera le texte de plus près, qu’elle sera pour ainsi dire juxtali-