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l’irréligion de l’avenir.

intelligences humaines comme n’étant sans doute que provisoire, — apparaîtra bien mieux encore comme telle à l’archange de l’intelligence même, au « porte-lumière » de la pensée. Savoir, c’est participer en quelque sorte à la conscience de la Vérité suprême, à la conscience divine ; avoir toute la science, ce serait concentrer en soi tous les reflets de la conscience même de Dieu : comment, de tout ce divin, le satanique pourrait-il sortir ?

Aujourd’hui, lorsqu’une faute est commise parmi les hommes sans qu’on puisse en rendre responsable ni l’éducation, ni le milieu moral, ni une tentation trop violente pour la chair humaine, les savants remontent dans les générations antécédentes du coupable et y cherchent l’explication de cette anomalie, convaincus qu’ils sont d’être en présence d’un cas d’atavisme. Le premier-né de Dieu ne pouvait faillir pour cette raison. Alors que le monde était jeune, beau et bon, une première faute devenait chose plus étonnante que ce monde lui-même ; c’était une véritable création. Satan, comme inventeur, devenait supérieur à Dieu : son fiat nox moral dépassait le fiat lux en génie et en puissance créatrice. Encore une fois, toute explication religieuse du mal aboutit, en fin de compte, à placer son origine en Dieu même ou en un être plus puissant que Dieu : dans les deux cas elle rabaisse également le créateur. C’est la raison principale qui compromet de plus en plus, pour tous les esprits philosophiques, l’idée de création proprement dite.


II. — La seconde notion du théisme est celle de providence, laquelle peut être ou générale ou spéciale. À la providence spéciale et gouvernant du dehors nous avons vu se rattacher la doctrine du miracle. Voici le seul moyen par lequel on pourrait tenter de défendre ces deux notions aujourd’hui si vieillies. Concevez, à la manière de Pascal, deux mondes, le monde physique, puis, par-dessus, le monde « moral », l’enveloppant et le pénétrant par endroits. Les points où le monde moral pénètre, les points d’intersection pour ainsi dire, ce sont les miracles. Ils ne sont des dérogations aux lois de la nature qu’en tant qu’ils affirment des lois supérieures. — Mais, répondrons-nous, les lois prétendues supérieures seront toujours contradictoires sur quelques points avec celles de la nature, — sur les points mêmes où le miracle se produit. On ne peut suppo-