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le théisme. idée de providence.

aura rempli ton âme, prononce des mots au hasard, je n’en ai point à te prescrire. Qu’importe que tu dises : bonheur ! cœur ! amour ! Dieu ! le sentiment est tout, le mot est vain. » Le philosophe déiste qui fait si bon marché des mots semble à la foule superficielle n’être qu’un sceptique hypocrite ; d’autre part, l’athée trop cassant a l’étroitesse d’un sectaire. Ce qui est certain, c’est que le nom de Dieu a été associé tantôt aux plus grandes conceptions humaines, tantôt aux plus barbares : l’hypothèse théiste ne pourra subsister dans l’avenir que si on consent enfin à la dépouiller de tout ce qu’elle a éveillé si souvent d’idées puériles ou grossières.

C’est vers ce but que tend aujourd’hui le théisme des esprits les plus larges, en particulier ce que l’on appelle avec Kant « la religion dans les limites de la raison » et qui mérite un examen spécial.

La religion néo-kantienne élève d’abord l’idée du bien moral au-dessus de tout, comme principe directeur de la volonté raisonnable. De là les néo-kantiens déduisent la « liberté morale » comme condition du bien : car le bien n’est autre chose, selon eux, que la liberté s’apparaissant à elle même en sa pureté intelligible et dominant le moi sensible ou « phénoménal. » La liberté, pour être ainsi conçue, est placée dans une sphère supérieure à celle des phénomènes, qui est essentiellement le domaine de la nécessité et du déterminisme. Aussi, en approfondissant la notion de la liberté absolue et intemporelle, les Kantiens finissent-ils par y découvrir celle d’éternité ; c’est en prenant conscience de cette idée que je puis dire avec Spinoza : « Je sens, j’éprouve que je suis éternel. « L’éternité elle-même se confond avecla divinité : l’Éternel, n’est-ce pas toujours ce que les peuples ont adoré ? Je sens donc Dieu au fond de mon être, il se révèle à moi par l’idéal moral. Maintenant, ce Dieu que nous révèle notre conscience, est-ce nous-même en notre pureté, est-ce chacun de nous, et faut-il croire alors que le fond des choses est, comme on l’a dit, une « république des libertés, » qu’il y a par cela même autant de dieux que d’individus, que nous sommes tous des dieux ? Ou bien la multiplicité des individus et des personnalités n’est-elle qu’une apparence, la liberté est-elle une au fond des choses ? Le théisme pourra choisir entre ces deux hypothèses, entre une sorte de polythéisme métaphysique et moral ou une sorte de monothéisme ; il pourra ensuite imaginer à son gré les rapports qui s’établissent entre la liberté absolue et le monde des phénomènes. Mais la