Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
7
la physique religieuse et le sociomorphisme.

imaginaire ; mais au début cet ordre ne devait pas exister : chaque dieu devenait le plus puissant pour celui qui l’invoquait ; Indra, Varuna, Agni, Mitra, Sonia, recevaient tour à tour les mêmes épithètes. C’est l’anarchie précédant la monarchie. « Parmi vous, ô dieux, dit le Rishi Manu Vaivasvata, il n’en est pas de grands, il n’en est pas de petits, il n’en est pas de vieux ni de jeunes ; tous, vous êtes grands en vérité. » C’est que tous étaient des symboles divers exprimant une même idée celle de l’adoration pour ce qui dépasse l’esprit, pour l’infini fuyant que nos sens nous prouvent en nous le cachant.

Il faut voir M. Max Müller s’efforçant de nous retracer l’évolution de la pensée hindoue bien avant la naissance du bouddhisme, qui fut le protestantisme de l’Inde. Le savant philologue est porté à voir dans le développement de la religion aux Indes l’un des types essentiels du développement des religions humaines. Peut-être même, suivant lui, les Hindous, partis d’aussi bas que nous, se sont-ils parfois élevés plus haut. Assistons donc avec lui à cette recherche des dieux, qui nulle part ne fut plus anxieuse et plus infatigable que dans ce grand pays de niéilitation, et figurons-nous que nous embrassons d’un coup d’œil comme le raccourci de l’histoire humaine.


Πάντες δὲ θεῶν χατέουσʹ ἄνθρωποι, disait Homère. Ces dieux, l’Inde ne les chercha guère dans le domaine de ce qui est entièrement tangible ; par là M. Max Müller entend ce qu’on peut palper sous tous ses côtés, pierres, coquillages, os, etc. ; il voit naturellement dans ce fait (si contestable d’ailleurs) un nouvel argument contre la théorie fétichiste. — Au contraire, en présence de ces grandes montagnes neigeuses, dont notre plate Europe ne peut même pas nous donner l’idée, de ces fleuves immenses et bienfaisants, avec leurs chutes d’eau, grondantes, leurs soudaines colères, leurs sources ignorées, de l’océan ou l’œil se perd, l’Hindou se sentait devant des choses qu’il ne pouvait loucher et comprendre qu’à moitié, dont l’origine et la fin lui échappaient : c’est le domaine du semi-tangible auquel l’Inde emprunta ses semi-divinités. En s’élevant encore d’un degré, la pensée hindoue devait arriver dans le domaine de l’intangible, c’est-à-dire de ces choses qui, quoique visibles, échappent pourtant entièrement à notre portée, du ciel, des étoiles, du soleil, de la lune, de l’aurore : ce furent là, pour l’Inde, comme pour la plupart des peuples,