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l’irréligion de l’avenir.

son hindoue, c’est ainsi que l’araignée, après avoir elle-même tiré de soi sa toile et l’avoir projetée en cercle autour d’elle, la retire et, la dévorant, la fait disparaître en elle-même, avec tous les rayons ou reflets diaprés qu’elle retenait dans sa trame et qui en faisaient un monde en raccourci. La pensée, elle aussi, peut tour à tour tirer de soi un monde et un dieu, pour les absorber ensuite.

Mais comment se représenter la pensée centrale d’où tout part et où tout revient ? Est-elle individuelle ou impersonnelle ? — Il y a d’abord un idéalisme tout subjectif et, comme disent les Anglais « égoïstique » ; c’est celui que M. Huxley définit dans sa Vie de Hume. « En dépit de toute démonstration contraire, dit-il, la collection des perceptions qui constituent notre conscience pourrait n’être qu’une fantasmagorie qui, engendrée et coordonnée par le moi, déroulerait ses scènes successives sur le fond du néant. « M. Spencer répond que, si l’univers n’était ainsi qu’une projection de nos sensations subjectives, l’évolution serait un rêve ; mais l’évolution peut se formuler aussi bien en termes idéalistes qu’en termes réalistes : un rêve bien lié vaudrait d’ailleurs la réalité même. L’idéalisme subjectif et « égoïstique » est donc difficile à réfuter logiquement. Malgré cela, il aura toujours peu d’adhérents, car cette simplification apparente du monde est en réalité une complication. Pour pouvoir faire rentrer tout entier dans les têtes pensantes le monde des phénomènes, il faut supposer une concordance de tromperies entre toutes nos impressions et entre les impressions de tous les autres êtres humains, chose beaucoup plus difficile à concevoir que la simple projection d’un monde objectif en nous. Le mental est d’ailleurs toujours plus complexe que le matériel ; si donc l’on veut isoler le mental, le réduire à lui-même, il faudra, pour se rendre compte de l’illusion d’optique qui crée le monde, un déploiement d’ingéniosité assez vain et beaucoup plus grand que pour faire de ce monde une simple perception. Enfin le moindre effort, avec la résistance qu’il rencontre, est la réfutation de l’idéalisme égoïstique, ou, comme disent encore les Anglais, du solipsisme. Dans la « résistance », en effet, coïncident et la sensation subjective et perception d’une réalité objective. Si l’on peut encore considérer comme subjectif l’ordre d’après lequel nous combinons ou superposons les sensations de résistance pour former l’étendue et ses diverses dimensions, il est bien difficile d’admettre