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l’irréligion de l’avenir.

progressive et le déterminisme au milieu duquel elle progresse : ce seraient les deux aspects d’une même évolution. Qu’est-ce que le déterminisme qui nous enveloppe ? Il se réduit à une série d’actions des autres êtres sur nous et de réactions de nous sur les autres êtres ; mais qu’est-ce que ces actions et ces réactions sans nombre, si ce n’est le signe du développement des activités intérieures ? Et maintenant, quel est le fond de l’activité dans l’univers, si ce n’est une puissance débordante, ennemie de toute limite, de toute entrave, en un mot, une liberté se faisant ? Ainsi, selon cette doctrine, quand on pénètre assez loin, quand on brise, pour ainsi dire, la surface des choses, on voit la liberté créant le déterminisme, se confondant, s’unifiant avec lui[1]. La nécessité n’est, en quelque sorte, que l’ « armure des libertés ; » elle naît de leurs rapports mutuels, de leurs points de contact. On ne peut pas comprendre de libertés sans un déterminisme qui en dérive ; car être libre, c’est pouvoir, c’est agir et réagir ; agir et réagir, c’est déterminer et être déterminé. D’autre part, on ne peut comprendre de déterminisme, c’est-à-dire d’action réciproque, sans quelque action interne, sans quelque volonté qui doit être en soi spontanée et tend à être libre. À ce point de vue, on pourrait dire, sans contradiction, que le déterminisme enveloppe le monde, et que la volonté le constitue.

Si l’action des volontés l’une sur l’autre dans le monde est encore le plus souvent brutale, c’est qu’elles sont encore à demi-inconscientes des puissances qu’elles portent en elles-mêmes ; la conscience, en se développant au dedans d’elles, les unira, transformera leurs chocs en un concours. Pour éviter de se heurter à des obstacles infranchissables, la volonté a encore moins besoin de projeter la lumière autour d’elle que de s’éclairer intérieurement, de regarder en soi. Comme il n’y a rien dans l’univers d’étranger à la volonté, il n’y a rien non plus d’étranger à l’idéal que toute volonté se propose. Il est probable qu’avec la vie, il y a partout de la conscience à un degré infinitésimal ; or, partout où il y a conscience, il peut y avoir désir. La devise de la nature, comme l’a dit un poète contemporain, c’est : « j’aspire. » L’idéal humain n’est peut-être que la formule consciente de cette aspiration commune à l’univers entier. Si cela était vrai, il s’ensuivrait que la liberté

  1. A. Fouillée, la Liberté et le Déterminisme, 2e édition.