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le naturalisme matérialiste.

buer au moins la vie à l’élément universel, au lieu d’en faire ce qu’on nomme une matière brute. « Chaque génération de physiciens, écrit M. Spencer, découvre, dans la matière appelée brute, des forces à l’existence desquelles les plus savants physiciens n’auraient pas cru quelques années auparavant. » Quand nous voyons des corps solides, malgré leur apparente inertie, sensibles à l’action de forces dont le nombre est infini ; quand le spectroscope nous prouve que des molécules terrestres se meuvent en harmonie avec des molécules placées dans les étoiles ; quand nous nous voyons forcés d’inférer que des vibrations innombrables traversent l’espace dans toutes les directions et l’agitent, la conception qui s’impose à nous, « ce n’est point celle d’un univers composé de matière morte, c’est plutôt celle d’un univers partout vivant : vivant dans le sens général du mot, si ce n’est dans le sens restreint[1]. » La vie est une notion plus humaine peut-être, plus subjective, mais, après tout, plus complète et plus concrète que celles de mouvement et de force ; car nous ne pouvons espérer trouver le vrai trop loin du subjectif, puisque le subjectif est la forme nécessaire que doit prendre en nous la vérité.

La seconde amélioration dont le matérialisme a besoin pour pouvoir satisfaire le sentiment métaphysique, c’est, avec la vie, de placer dans l’élément primordial au moins un germe du « psychique. » Seulement, cette matière primitive étant une force capable et de vivre et finalement de penser, ce n’est plus là ce qu’on entend vulgairement et même scientifiquement par matière, encore bien moins par hydrogène. Le pur matérialiste, palpant la sphère du monde et s’en tenant à l’impression la plus grossière, celle du tact, s’écrie : tout est matière ; mais la matière même se résout bientôt, pour lui, dans la force, et la force n’est qu’une forme primitive de la vie. Le matérialisme devient donc en quelque sorte animiste et, devant la sphère roulante du monde, il est obligé de dire : elle vit. Alors intervient un troisième personnage, qui, comme Galilée, la frappe du pied à son tour : — Oui, elle est force, elle est action, elle est vie ; et pourtant elle est encore autre chose, puisqu’elle pense en moi et se pense par moi. E pur si pensa !

Nous voilà donc obligés à faire de nouveau sa part au naturalisme idéaliste. Le matérialisme, d’ailleurs, rentre

  1. M. Spencer a lui-même un peu oublié la chose dans plusieurs de ses constructions trop exclusivement mécanistes.