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l’irréligion de l’avenir.

gré l’intervention des différences de température, de lumière, d’attraction, d’électricité, les espèces sidérales, si différentes qu’elles soient des nôtres, ont dû être poussées par les éternelles nécessités de la vie dans le sens du développement sensitif et intellectuel, et, dans cette voie, elles ont dû aller tantôt plus loin que nous, tantôt moins loin. Remarquons d’ailleurs que, sur notre globe même, les types trop bizarres, trop monstrueux et produits par une sorte d’imagination apocalyptique, comme ceux qui sont nés à l’âge tertiaire, n’ont pu subsister : les espèces les plus vivaces ont été généralement les moins étranges, celles qui se rapprochaient mieux d’un type plus uniforme et plus esthétique. On peut donc admettre dans l’univers, sans trop d’invraisemblance, une infinité d’humanités analogues à la nôtre pour les facultés essentielles, quoique peut-être très différentes pour la forme des organes, et supérieures ou inférieures en intelligence. Ce sont nos frères planétaires. Peut-être quelques-uns d’entre eux sont-ils comme des dieux par rapport à nous ; c’est là, nous l’avons déjà dit, ce qui reste scientifiquement de possible ou de vrai dans les antiques conceptions qui peuplent les « cieux » d’êtres « divins »[1].

  1. Pour comprendre les différences énormes qui, malgré les analogies, peuvent exister entre l’organisation des êtres planétaires ou stellaires et la nôtre, il faut se représenter la variété qui existe au sein même des espèces terrestres. Supposez les fourmis, qui nous offrent déjà un type de société si avancé (avec les trois états de pasteur, de laboureur et de guerrier), supposez-les continuant leur développement intellectuel, au lieu de s’arrêter à l’exercice mécanique de l’instinct ; il n’est pas impossible qu’elles arrivent à un point d’évolution mentale analogue, mutatis mutandis, à celui de telle société humaine, par exemple des Chinois, ces fourmis humaines. Qui sait si elles ne pourraient dominer le globe, en remplaçant la force individuelle par le nombre et l’intelligence ? Ce serait une sorte de civilisation lilliputienne, destinée sans doute à exercer une moindre influence sur la marche des choses que celle d’êtres plus forts et doués d’une taille supérieure. Maintenant, pour passer d’un extrême à l’autre dans ce pays des rêves où se sont plu jadis Fontenelle, Diderot et Voltaire, supposons une humanité qui, au lieu de dériver des anthropoïdes, fût dérivée d’un des animaux qui sont, avec les singes, les plus intelligents de notre terre, de l’éléphant : la chose n’est pas scientifiquement impossible si on considère que la trompe de l’éléphant est, avec la main, un des organes de préhension les plus forts et même les plus délicats qui existent dans les espèces animales ; or, posséder un cerveau développé et un bon organe de préhension, ce sont là peut-être les conditions les meilleures pour vaincre dans la lutte pour la vie. On aurait donc pu voir réalisée sur notre terre même ou sur quelque astre lointain une civilisation géante, bien différente dans son aspect extérieur, sinon dans ses lois générales, de notre civilisation. Il faut nous familiariser avec cette pensée, si répu-