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l’immortalité dans le naturalisme moniste.

nous. Alors nous pourrions concevoir non plus des sociétés de consciences enfermées en un petit coin de l’espace, dans un organisme étroit qui est une prison, mais la victoire d’une conscience sociale sur l’espace ; — victoire par laquelle l’idéal de sociabilité universelle, qui fait le fond de l’instinct religieux, finirait par devenir une réalité de fait. De même qu’un jour, par la communication plus étroite des consciences individuelles, pourra s’établir sur notre propre terre une sorte de conscience humaine, de même on pourrait sans absurdité rêver, dans l’infini des âges, la réalisation d’une conscience intercosmique,

« Dieu est patient parce qu’il est éternel », aiment à répéter les théologiens. Pour l’être qui est supposé posséder la toute-puissance, la patience à laisser triompher le mal serait un crime ; mais cette parole, qui ne s’applique guère à Dieu, peut convenir mieux à l’être naturel qui conçoit son unité fondamentale avec le tout, qui prend la conscience de son éternité en se reliant par la pensée à l’espèce, puis à la vie dont l’espèce n’est qu’un accident, puis à l’évolution de ce globe où la vie consciente ne paraît d’abord elle-même qu’un accident, puis à l’évolution des vastes systèmes astronomiques dans lesquels notre globe n’est plus qu’un point : l’être pensant, l’homme peut être patient, parce que, en tant que membre de la nature, il est éternel.


IV. — LA DESTINÉE DE L’HOMME ET L’HYPOTHÈSE DE L’IMMORTALITÉ DANS LE NATURALISME MONISTE


Avec la destinée des mondes, ce qui nous intéresse le plus, c’est notre propre destinée. La religion est en majeure partie une méditation de la mort. Si nous ne devions pas mourir, il y aurait sans doute encore des superstitions parmi les hommes ; il n’y aurait probablement pas de superstitions systématisées ni de religion. La masse humaine fait si peu de métaphysique ! Il faut qu’un problème la heurte et la blesse pour attirer son attention ; la mort est un de ces problèmes. La porte de la « vallée de Josaphat, » où s’en vont les morts, sora-t-elle ouverte sur les cieux comme un arc-en-ciel à la courbe faite de lumière et