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l’immortalité dans le naturalisme moniste.

constitue le point nodal dans le cours de la nature, où le monde se rappelle à soi-même. Ce n’est pas comme être simple, mais comme le produit évolué d’innombrables éléments, que l’âme humaine est, selon l’expression de Leibnitz, un « miroir du monde[1]. »

À ce point de vue moderne, qui, comme on le voit, est un développement du point de vue d’Aristote[2], la question de l’immortalité revient à savoir jusqu’où peut s’étendre la continuité des fonctions mentales, de l’ « être intellectuel » qui est l’unité interne d’une multiplicité complexe se saisissant elle-même.

Remarquons d’abord que, dans l’ordre même des choses matérielles, nous avons des exemples de composés indissolubles. Les principaux atomes simples, nous l’avons vu, sont des composés de ce genre. L’atome d’hydrogène est déjà un tourbillon de petits mondes. Maintenant, n’y a-t-il d’indissoluble dans l’univers que les prétendus atomes, ces « individus » physiques, et ne peut-on supposer dans le domaine mental des individus plus dignes de ce nom, qui en leur complexité même trouveraient des raisons de durée ?

Selon les doctrines aujourd’hui dominantes dans la physiologie et dans la psychologie expérimentale, la conscience individuelle serait, comme nous l’avons dit, un composé où se fondent des consciences associées, celles des cellules formant l’organisme[3]. L’individu enveloppant ainsi une société, le problème de la mort revient à se demander s’il peut exister une association tout à la fois assez solide pour durer toujours, et assez subtile, assez flexible pour s’adapter au milieu toujours changeant de l’évolution universelle.

Ce problème, remarquons-le d’abord, est précisément

  1. Wundt, Psychologie, tome II. Conclusion.
  2. Voir M. Ravaisson, la Métaphysique d’Aristote, tome II, et Rapport sur la Philosophie en France.
  3. « L’association ou le groupement est la loi générale de toute existence, organique ou inorganique. La société proprement dite n’est qu’un cas particulier, le plus complexe et le plus élevé, de cette loi universelle… Une conscience est plutôt un nous qu’un moi… Dans ses rapports avec d’autres consciences elle peut, sortant de ses limites idéales, s’unir avec elles et former ainsi une conscience plus compréhensive, plus une et plus durable, de qui elle reçoit et à qui elle communique la pensée, comme un astre emprunte et communique le mouvement au système auquel il appartient. » Espinas, des Sociétés animales, 128. — Voir aussi M. Fouillée, la Science sociale contemporaine, 1. III.