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l’immortalité dans le naturalisme moniste.

ment à ces deux questions : — Qu’est-ce que l’être ? qu’est-ce que la conscience ? ni, par cela même, à cette troisième question qui présupposerait la solution des deux autres : la conscience sera-t-elle ?

On lit sur un vieux cadran solaire d’un village du midi : Sol non occidat ! — Que la lumière ne s’éteigne pas ! telle est bien la parole qui viendrait compléter le fiat lux. La lumière est la chose du monde qui devrait le moins nous trahir, avoir ses éclipses, ses défaillances ; elle aurait dû être créée « à toujours », εὶς ὰεί, jaillir des cieux pour l’éternité. Mais peut-être la lumière intellectuelle, plus puissante, la lumière de la conscience finira-t-elle par échapper à cette loi de destruction et d’obscurcissement qui vient partout contrebalancer la loi de création ; alors seulement le fiat lux sera pleinement accompli : lux non occidat in œternum !


IV. — Mais, nous dira-t-on, ceux qui ne se laissent pas prendre aux tentations de toutes ces belles et lointaines hypothèses sur l’au-delà de l’existence, ceux qui voient la mort dans toute sa brutalité, telle que nous la connaissons, et qui, comme vous-même peut-être, penchent vers la négative en l’état actuel de l’évolution, — quelle consolation, quel encouragement avez-vous pour eux au moment critique, que leur direz-vous sur le bord de l’anéantissement ? — Rien de plus que les préceptes du stoïcisme antique, qui lui aussi ne croyait guère à l’immortalité individuelle : trois mots très simples et un peu durs : « Ne pas être lâche. » Autant le stoïcisme avait tort lorsque, devant la mort d’autrui, il ne comprenait pas la douleur de l’amour, condition de sa force même et de son progrès dans les sociétés humaines, lorsqu’il osait interdire l’attachement et ordonnait l’impassibilité ; autant il avait raison quand, nous parlant de notre propre mort, il recommandait à l’homme de se mettre au-dessus d’elle. De consolation, point d’autre que de pouvoir se dire qu’on a bien vécu, qu’on a rempli sa tâche, et de songer que la vie continuera sans relâche après vous, peut-être un peu par vous ; que tout ce que vous avez aimé vivra, que ce que vous avez pensé de meilleur se réalisera sans doute quelque part, que tout ce qu’il y avait d’impersonnel dans votre conscience, tout ce qui n’a fait que passer à travers vous, tout ce patrimoine immortel de l’humanité et de la nature que vous