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la physique religieuse et le sociomorphisme.

le vague et comme dans l’inutilité l’idée de l’infini insaisissable.


Pas plus que l’idée d’infini, nous ne pouvons placer au début de la pensée religieuse, une autre notion voisine de la première : celle d’unité embrassant la pluralité, de l’un tout. Cette notion panthéiste et moniste, à en croire M. de Hartmann, serait le point de départ des religions. À moitié disciple de Hegel, à moitié de Schopenhauer, M. de Hartmann ne pouvait manquer d’attribuer à l’humanité et d’appliquer à l’histoire les formules de sa dialectique. « L’hénothéisme, dit-il, a son fondement dans l’identité positive que l’on reconnaît être à la base de toutes les divinités de la nature, identité qui permet d’honorer, dans la personne de chaque dieu, principalement dans celle de chacun des principaux dieux admis dès l’origine, la divinité au sens absolu, le divin, Dieu. Par suite il devient indifférent, en quelque mesure, d’adorer la divinité sous tel de ses aspects particuliers plutôt que sous tel autre : la fantaisie, quand elle se représente Indra sous la forme d’un buffle, ne prétend pas exclure par là la possibilité de le représenter l’instant d’après sous la figure d’un aigle ou d’un faucon ; quand elle offre ses hommages à la divinité suprême sous le nom du dieu de la tempête Indra, elle ne veut pas exclure par là la possibilité de l’adorer l’instant d’après, soit comme Surya, dieu du soleil, soit comme Rudra-Varuna, dieu du ciel. L’hénothéisme ne doit donc pas sa naissance au défaut d’association d’idées et à l’oubli que montreraient des polythéistes qui, en adressant leurs hommages à Surya comme au dieu suprême, perdraient de vue, par une incroyable faiblesse de mémoire, qu’il y a encore d’autres dieux, adorés par d’autres gens, et qu’eux-mêmes naguère invoquaient. » — Se figure-t-on l’humanité primitive déjà au courant de la philosophie de l’unité, avec son symbolisme de puissances diverses prises tour à tour pour les manifestations de l’unité fondamentale ? Même pour l’Inde, cette terre de la métaphysique panthéiste, une telle philosophie est le produit tardif d’une civilisation déjà raffinée Jamais les peuples n’ont commencé à penser par des abstractions. Ils n’ont pu d’abord concevoir la divinité en général, pour la représenter ensuite par Indra, Surya ou Rudra-Varuna, comme par des aspects dont aucun ne l’épuisé, — sorte de litanie où l’Un-Tout prendrait successivement les noms les plus divers. Une telle