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la genèse des religions.

peut pas ne pas s’émouvoir devant tout mouvement qui paraît se diriger vers lui. Or l’animal est bientôt forcé de reconnaître à des objets indifférents, dans certaines circonstances, la propriété de se mouvoir, propriété qui est pour lui d’un intérêt si vital. Je me rappelle la surprise d’un très jeune chat le jour où il vit, par une tempête, toutes les feuilles mortes se lever autour de lui et se mettre à courir ; il se sauva d’abord, puis il revint, poursuivit les feuilles ; il les sentait, les palpait. Darwin raconte qu’un jour un chien était couché près d’un parasol ouvert planté sur la pelouse : la brise soufflant, le parasol s’agita ; aussitôt le chien se mit à aboyer, à gronder furieusement, et il recommençait toutes les fois que le parasol remuait. Évidemment le chien de Darwin n’avait pas encore constaté ce phénomène, qu’un objet tel qu’un parasol pût changer de place sans l’intervention visible de personne ; toutes ses classifications se trouvaient donc dérangées, il ne savait plus s’il fallait classer le parasol au nombre des êtres indifférents ou des êtres nuisibles. Il eût éprouvé une impression analogue s’il avait ti se lever tout à coup un paralytique jusqu’alors assis immobile dans son fauteuil. La surprise des animaux est plus forte encore lorsque l’objet, regardé jusqu’alors comme indifférent, vient à leur manifester son activité en leur infligeant quelque douleur soudaine. J’ai été témoin de l’épouvante d’un chat qui, ayant vu une braise rouge rouler du fourneau à terre, s’était élancé pour jouer avec ; il en approcha à la fois la patte et le museau, poussa un cri de douleur, et s’enfuit tellement frappé qu’il ne reparut plus pendant deux jours à la maison. M. Spencer lui-même cite un autre exemple qu’il a observé. Il s’agit d’une formidable bête, demi-mâtin, demi-braque, qui jouait avec une canne ; il sautait et gambadait en la tenant par le bout inférieur ; tout d’un coup la poignée de la canne porta sur le sol, et le bout que le chien avait dans la gueule se trouva poussé vers son palais. L’animal gémit, laissa tomber la canne et s’enfuit à quelque distance ; là il manifesta, paraît-il, un effroi vraiment comique chez une bête d’un air aussi féroce. Ce n’est qu’après s’en être approché plusieurs fois avec prudence et beaucoup d’hésitation qu’il se laissa tenter encore et ressaisit la canne. M. Spencer, qui nous fournit ce fait avec beaucoup d’impartialité, en conclut comme nous que la « conduite insolite » de la canne suggéra au chien « l’idée d’un être animé ; » mais, s’empresse-t-il d’ajouter, pour que « l’idée vague d’animation ainsi éveil-