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la physique religieuse et le sociomorphisme.

enfant ; elle ne veut pas se montrer. « L’homme primitif a dit aussi que l’ouragan était méchant, le tonnerre méchant, etc., tandis que le soleil, la lune, le feu étaient, quand il leur plaisait, bons et bienfaisants. Maintenant, voici des volontés tantôt bonnes, tantôt méchantes, armées d’une puissance irrésistible, faciles d’ailleurs à irriter, promptes à la vengeance, comme l’est l’homme lui-même : ne sont-ce pas là des dieux, et que faut-il de plus ? Et si nous avons les dieux, n’aurons-nous pas la religion même, la société avec des dieux ? Pour créer la religion, nous n’avons plus besoin en effet que d’ajouter une dernière idée à celles dont nous avons déjà vu l’éclosion, l’idée qu’il est possible de modifier par telle ou telle conduite, par des offrandes, par des actions de grâces ou des supplications, les volontés supérieures des êtres de la nature. Cette idée, qui nous semble toute simple, n’a pourtant pris naissance qu’à une phase relativement avancée de l’évolution mentale. L’animal sauvage ne connaît guère, comme moyens d’action sur les autres êtres, que les coups de dents, les grondements et la menace ; si ces moyens échouent, il ne compte plus que sur la fuite : une souris n’espère changer en aucune manière la conduite du chat à son égard ; quand elle est entre ses pattes, elle sait bien qu’elle n’a qu’une ressource, celle de se sauver. Si cependant l’animal finit, surtout à l’époque des premiers rapprochements sexuels, par apprendre la puissance des caresses et des prévenances, il n’emploie guère ces moyens qu’à l’égard des individus de même espèce. Encore faut-il que l’animal soit sociable pour que cette mimique expressive arrive à un certain degré de développement ; elle se réduit généralement aux coups de langue, aux frôlements de la tête, aux frétillements de la queue. De plus, l’animal ne peut évidemment employer de tels moyens qu’à l’égard d’êtres animés faits comme lui, avant de la peau et des poils ; il ne léchera pas une pierre ou un arbre, même s’il vient à leur attribuer quelque pouvoir insolite. La brute eût-elle, comme le veut Auguste Comte, des conceptions fétichistes plus ou moins vagues, elle serait donc dans une complète incapacité de témoigner d’une façon ou d’une autre à ses fétiches naissants sa volonté prévenante. La crainte superstitieuse est un élément de la religion qui peut, après tout, se rencontrer jusque chez l’animal, mais cette crainte ne sera pas chez lui assez féconde pour produire même l’embryon d’un culte. Il ignore tous les moyens de