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la physique religieuse et le sociomorphisme.

voyage, mon chien des Pyrénées accourut et, posant ses pattes sur nos deux épaules, nous embrassa littéralement tous les deux. Depuis ce temps, nous en finies l’expérience, il ne pouvait nous voir nous embrasser entre nous sans venir demander sa part du baiser.

Un autre fait bien connu et très digne de remarque est le suivant : quand un chien ou même un chat a commis quelque acte pendable, mangé quelque rût ou fait une maladresse, on le voit bientôt arriver vers vous en vous faisant mille prévenances ; j’en étais venu à deviner les peccadilles fie mon chien rien qu’en observant de sa part des démonstrations insolites d’amitié. L’animal espère donc, à force de bonnes grâces, empêcher son maître de lui en vouloir, compenser la colère que sa conduite coupable doit éveiller par la bienveillance que lui concilieront ses témoignages de soumission et d’affection. Cette idée de compensation entrera plus tard comme élément important dans le culte religieux. Le brigand napolitain qui porte un cierge à l’autel de la vierge, le seigneur du moyen âge qui, après avoir tué son proche parent, fait construire une chapelle en l’honneur de quelque saint, l’ermite qui se déchire la poitrine de son cilice afin d’éviter les souffrances bien autrement redoutables de l’enfer, ne font pas autre chose que d’obéir au raisonnement de mon chien : ils cherchent comme lui à se concilier leur juge et, pour tout dire, à le corrompre ; car la superstition repose en grande partie sur la croyance à la corruption possible de Dieu.

La notion la plus difficile à découvrir chez l’animal est celle de don volontaire et conscient. La solidarité si remarquable qu’on observe chez certains insectes, comme la fourmi, et qui leur fait mettre tout en commun, est encore trop instinctive et irréfléchie ; le don véritable doit s’adresser à une personne déterminée, non au corps social tout entier ; il doit avoir un caractère de spontanéité excluant le pur instinct ; enfin il doit être, autant que possible, un signe d’affection, un symbole. Plus il aura un caractère symbolique, plus il sera religieux ; les offrandes religieuses, en effet, sont surtout un témoignage symbolique de respect ; la piété n’y a guère de part ; on ne croit pas, en général, qu’elles répondent à un réel besoin des dieux ; on pense qu’elles seront plutôt agréées par eux qu’acceptées avec avidité. Elles supposent donc un sentiment déjà assez délicat et raffiné. Précisément nous trouvons ce sentiment en germe chez un chien observé par M. Spencer. Ce chien