Page:Guyau - La Genèse de l’idée de temps.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
60
GENÈSE DE L’IDÉE DE TEMPS

n’est pas possible « aussi longtemps que cet objet agit sur notre sensibilité » ; « la perception et la conception d’un même objet ne peuvent exister simultanément dans la conscience : la perception éteindrait complètement la conception. La réalité est absorbante et jalouse : toute idéalité disparaît devant elle, à la façon des étoiles devant le soleil. » M. Delbœuf, à l’appui de cette thèse, invoque l’expérience. Essayez de vous représenter vivement un tableau qui vous est familier. La chose vous sera aisée si vous fermez les yeux, et l’image pourra même acquérir un état d’intensité capable de vous faire presque illusion. Un peintre peut tracer un portrait de mémoire. Si vous tenez les yeux grands ouverts, déjà l’effort à faire est plus pénible ; vous devez, pour ainsi dire, par la puissance de votre volonté, annuler leur pouvoir visuel, les « frapper de cécité » à l’égard des choses qui pourraient attirer leur attention. Si vous fixez vos regards sur un objet déterminé, une gravure par exemple, il vous sera presque impossible de voir votre tableau en idée. « Vous n’y parviendrez en aucune façon, dit M. Delbœuf, si vous avez ce tableau même devant vous et si vous le regardez. » — Il y a là, selon nous, une très grande exagération. Il