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LES ILLUSIONS DU TEMPS

nettement dans la mémoire, qu’ils remplissent. Il résulte de ce grand nombre d’impressions nettes que la série donne l’impression d’une plus grande longueur.

Tout le monde a remarqué la déformation des objets dans le souvenir. On les voit généralement plus grands ou plus petits, plus agréables ou plus douloureux, plus beaux ou plus laids, etc. D’ordinaire, le temps est la grande estompe des choses, qui efface ou adoucit les contours. Cette déformation s’explique par la lutte pour la vie ; parmi les traces restantes, celles qui sont les plus profondes sont les plus vivaces. Aussi le caractère qui, dans un objet, nous a le plus frappé tend à effacer tous les autres : l’ombre se fait autour de lui, et lui seul apparaît dans la lumière intérieure. Quand je revois la rue où j’ai joué dans mon enfance, et qui me paraissait alors si large, si longue, je la trouve toute petite, et j’en suis étonné. C’est que, dans mon enfance, toutes mes impressions étaient intenses, étaient neuves et fraîches. L’impression causée par les dimensions de la rue était donc vive. Quand je revois plus tard la rue par le souvenir, l’intensité de mes impressions subjectives se transporte à l’objet même et se transforme en grandeur spatiale, précisément parce que, dans