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GENÈSE DE L’IDÉE DE TEMPS

précis, localisé à tel point de l’espace. Si tout s’écoulait en nous comme l’eau d’un fleuve, notre pensée s’en irait aussi et disparaîtrait avec les sensations fuyantes. La première condition de la pensée, c’est de se retenir soi-même par la mémoire ; connaître, c’est reconnaître, au moins partiellement. C’est pourquoi la vie des animaux se passe comme un rêve ; encore retrouvons-nous parfois nos rêves et les reconstruisons-nous en les opposant à la vie réelle ; mais, si nous rêvions perpétuellement, nous n’aurions qu’une vague idée de nos rêves : ainsi en est-il des animaux.

La perception des différences et des ressemblances, première condition de l’idée de temps, a pour résultat la notion de dualité, et avec la dualité se construit le nombre. L’idée du nombre n’est autre chose à l’origine que la perception des différences sous les ressemblances ; les diverses sensations, d’abord les sensations contraires, comme celles de plaisir et de douleur, puis celles des différents sens, par exemple du tact et de la vue, se distinguent plus ou moins nettement les unes des autres.

Ainsi la discrimination, élément primordial de l’intelligence, n’a pas besoin de l’idée de temps pour s’exercer : c’est au contraire le temps qui la présuppose. La notion même