Page:Guyau - La Morale d’Épicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
110
ÉPICURE

rions-nous de la craindre ? Il n’y a rien de redoutable dans tout ce qui n’est rien par soi-même. La destruction, c’est simplement le repos. Les Cyrénaïques, dans leur théorie du plaisir, faisaient du repos le moyen terme entre la volupté et la peine ; Epicure, emplissant de jouissance et de bonheur les instants mêmes d’inaction apparente dont est semée la vie, n’admet plus qu’un moyen-terme entre le plaisir et la peine, un état absolument indifférent : c’est le suprême repos, celui de la mort.

« La mort n’est rien à notre égard, dit Epicure dans ses Maximes ; car ce qui est une fois dissous est incapable de sentir, et ce qui ne sent point n’est rien pour nous[1]. » Puis, développant cette idée dans la lettre à Ménécée : « Accoutume-toi, écrit-il, à penser que la mort n’est rien pour nous : car tout bien et tout mal reside dans le pouvoir de sentir ; mais la mort est la privation de ce pouvoir. Aussi cette connaissance droite, que la mort n’est rien pour nous, fait que le caractère mortel de la vie n’empêche pas la jouissance ; et cela, non en plaçant devant nous la perspective d’un temps indéfini, mais en nous ôtant le désir de l’immortalité[2]. »

Ce raisonnement d’Epicure s’appuie, comme on le voit, sur le principe même du système, que le bien est le plaisir et le mal la souffrance. Ce principe étant admis dans toute sa rigueur, la première conséquence. qu’Epicure en tire s’en suit logiquement. Ne pas être,

  1. Epic. ap. Diog. Laërt., iie max. Ὁ θάνατος οὐδὲν πρὸς ἡμᾶς · τὸ γὰρ διαλυθέν, ἀναισθητεῖ · τὸ δὲ ἀναισθητοῦν, οὐδὲν πρὸς ἡμᾶς.
  2. Ibid., X, 124. — Epicure, dans les fragments que Diogène Laërce nous a conservés, ne formule pas d’arguments contre l’immortalité de l’âme. Mais Lucrèce nous a laissé un remarquable résumé de l’argumentation épicurienne. Suivant les Epicuriens, l’expérience nous prouve que le corps et l’âme ont une vie parallèle et solidaire ; ils naissent, se développent, vieillissent ensemble, ils doivent donc mourir à la fois ; toute cause agissant sur l’un réagit sur l’autre ; la maladie, le délire, la léthargie, l’ivresse, se font sentir sur l’âme et sur le corps : « Or toute substance qui peut être troublée et altérée sera nécessairement détruite et privée de l’immortalité, si elle est exposée à l’action d’une cause supérieure. » (III, 483). La vie de l’âme, comme celle du corps, dépend donc uniquement du degré des forces destructives ; quand ces dernières l’emportent, la mort survient.