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DE LA MÉTHODE D’EXPOSITION

prendre, il faut y introduire la vie et la gradation des idées ; les contradictions ne naissent bien souvent que lorsqu’on sépare et tranche les termes, lorsqu’on ne tient point compte des moments de la pensée, lorsqu’on brise la chaîne des idées. Entre deux idées, chez un véritable penseur, il y a toujours un point de jonction ; il est plus ou moins imperceptible, mais il existe, et l’analyse consciencieuse des textes finira par le révéler[1].

En résume, la méthode d’exposition historique que nous venons d’esquisser repose sur cette croyance que la loi de la vie et la loi de la pensée sont les mêmes, que toutes deux se ramènent à la grande loi d’évolution, et qu’il faut dans chaque système connaître et reproduire cette évolution même. L’histoire de la philosophie a été surtout conçue jusqu’ici comme une anatomie de la pensée humaine : nous croyons qu’on pourrait en faire une embryogénie ; nous croyons qu’il faudrait, pour comprendre à fond un système, étudier sa formation et sa croissance comme on étudie celle d’un organisme. Cette formation dépend de deux causes principales dont l’influence se combine : la réflexion intérieure qui, telle ou telle idée féconde une fois donnée, tend à la développer dans le sens de la stricte logique ; puis les circonstances, le milieu intellectuel où se trouve la pensée, qui tantôt arrête et tantôt précipite ce développement, tantôt fait dévier la marche des déductions, tantôt la rétablit dans la droite voie. Quand l’historien de la philosophie aura étudié l’influence simultanée ou successive de ces deux causes, il connaîtra les lois et les phases diverses de la formation d’un système ; il lui restera alors à retracer cette formation même : c’est là, croyons-nous, sa véritable tache. L’histoire de la philosophie serait alors, en son idéal, une œuvre de science et d’art tout à la fois, de science en tant qu’elle étudie la pensée et ses lois, c’est-à-dire la vie dans sa manifestation la plus élevée, — d’art en tant qu’elle s’efforce de reproduire cette vie intellectuelle en son mouvement, en son activité et sa plénitude.

  1. Ce que nous venons de dire concerne uniquement la méthode d’exposition des systèmes ; quant à la méthode d’appréciation et de « conciliation », nous ne pouvons que renvoyer au premier chapitre de l’Histoire de la philosophie par M. Alfred Fouillée.