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ÉPICURE

tend à se traduire au dehors par un signe qui la représente : chez l’homme, qui est mieux doué, ces signes seront nécessairement plus parfaits et se perfectionneront sans cesse. L’enfant, remarque Lucrèce, prélude au langage quand il montre du doigt les objets qui le frappent, et cherche ainsi à faire partager aux autres ses émotions. Du reste, le langage exprimant à l’origine des idées et des sentiments purement individuels, qui variaient suivant les lieux et les individus, il varia lui aussi de la même manière. C’est plus tard seulement que des conventions intervinrent entre les hommes d’une même nation pour donner à tel ou tel mot un sens uniforme et déterminé. Peu à peu un terme qui à l’origine n’avait exprimé qu’une émotion ou une pensée tout individuelle en est venu ainsi à exprimer les pensées et les émotions de tout un peuple. Quant aux mots exprimant des choses non sensibles, ils ont été introduits plus tard encore par des hommes d’une intelligence plus haute; ils n’ont rien de primitif[1].

Le problème de la formation du langage est l’une des principales difficultés qu’aient à résoudre les adversaires de la création divine et du miracle. La solution qu’en donna Epicure et que répéta Lucrèce mérite d’être remarquée : elle pourrait s’incorporer facilement aux grandes théories modernes de Darwin et de Spencer ; elle confirme encore une fois cette hypothèse, développée pour la première fois par les Epicuriens, d’un progrès lent et continu dans l’humanité.

Nous avons vu que, selon Lucrèce, « les premiers instruments des hommes furent les mains, les ongles, les dents, puis les pierres et les branches d’arbre, ensuite la flamme et le feu[2]. » Remarquons comme cette gradation est exacte et scientifique. Ce fut bien plus tard qu’ils découvrirent les métaux et qu’ils apprirent à les façonner. Le premier métal dont ils se servirent fut le cuivre: « L’usage du cuivre, dit Lucrèce, prècéda celui du fer parce qu’il était plus aisé à travailler et plus commun. » On sait comment la science moderne a confirmé cette hypothèse. Après une nouvelle période de temps, les hommes en vinrent à connaître le fer, et ce métal plus dur se substitua peu à peu au cuivre.

  1. Diog. Laërt., X, 76.
  2. Ibid., 1280.