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CONCLUSION




L’ÉPICURISME ET SES ANALOGIES AVEC LE POSITIVISME MODERNE. — SON SUCCÈS DANS L’ANTIQUITÉ


L’esprit humain, lorsqu’il a longtemps travaillé sur un même sujet, cherche dans une même direction, se fatigue et s’épuise ; après s’être passionné pour un problème sans avoir pu le résoudre, il en vient à le délaisser tout à coup et, par une réaction naturelle, il se tourne vers un ordre d’idées tout différent. Dans le cours de l’histoire, — par exemple au siècle d’Epicure, — il s’est produit souvent de ces sortes de lassitudes intellectuelles, et l’humanité dans son ensemble peut être considérée comme un même individu qui n’accomplit un grand nombre de travaux qu’à condition de les varier sans cesse, de passer sans repos de l’un à l’autre.

D’ailleurs, lorsque à telle époque l’esprit humain semble abandonner tel problème, il ne s’ensuit pas qu’il y renonce pour toujours ; loin de là : les recherches accomplies dans un autre ordre d’idées pourront être utiles, tôt ou tard, pour résoudre la difficulté même qu’on n’avait pu vaincre d’abord en l’attaquant de front. Epicure, par exemple, n’a pas empêché nos métaphysiciens et nos moralistes modernes ; il a plutôt servi, comme nous le verrons, à provoquer l’essor de leur pensée. Dans le domaine intellectuel chaque pas qu’on fait en une direction permet ensuite d’avancer plus facilement dans une direction tout opposée ; avec le temps les problèmes changent de forme, les mêmes questions apparaissent sous un nouveau point de vue, et ce simple changement d’aspect est déjà un progrès considérable.