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D’HOLBACH

mer en doctrine humanitaire. Helvétius s’était arrêté devant la justice et la charité universelle comme devant un idéal auquel il lui était impossible d’atteindre en prenant pour point d’appui l’intérêt ; par ce côté seulement il avait résisté au courant qui l’emportait avec tout son siècle vers les idées d’humanité et de philanthropie. Mais ce courant, plus fort que lui, entraîna son système.

On peut suivre cette transformation chez d’Holbach, dont les déclamations sur la vertu sont déjà bien loin de l’indifférence affectée d’Helvétius. D’une part, d’après d’Holbach, nous n’obéissons jamais qu’à l’intérêt, c’est-à-dire à la « gravitation de soi sur soi, » et ce que nous appelons l’obligation morale n’est que la nécessité d’être utile à soi-même par soi ou par autrui[1]. D’autre part, la vertu est essentiellement sympathique ; empruntant les termes de Leibniz, il la définit « l’art de se rendre heureux de la félicité des autres. » Dans la vertu, qui n’est autre chose que la sympathie, d’Holbach s’efforce de trouver le moyen terme entre les intérêts de l’individu et ceux de la collection, moyen terme qu’Helvétius avait cherché seulement dans la sanction légale. Il fait plus encore ; non seulement à ses yeux la vertu est sympathie, mais elle est, jusqu’à un certain point, indépendante de l’objet même avec lequel on sympathise ; non seulement, par l’acte vertueux, nous unissons notre bonheur à celui des autres, mais il semble que, dans cet acte même, nous trouvions une satisfaction sui generis et propre à nous. D’un côté nous profitons du bonheur de nos semblables, nous jouissons de leur estime, de leur affection ; d’un autre côté, nous nous créons à nous-mêmes un bonheur, nous méritons nous-mêmes notre

  1. Syst. de la nat., I, 10, p. 183. Syst. soc., p. 71. — D’Holbach est un des premiers qui aient prétendu fonder la morale sur la physiologie ou, comme il dit, Sur la médecine. « Si l’on consultait l’expérience au lieu du préjugé, la médecine fournirait à la morale la clef du cœur humain… Aidés de l’expérience, si nous connaissions les éléments qui font la base du tempérament d’un homme, ou du plus grand nombre des individus dont un peuple est composé, nous saurions ce qui leur convient, les lois qui leur sont nécessaires, les institutions qui leur sont utiles… La morale et la politique pourraient retirer du matérialisme des avantages que le dogme de la spiritualité ne leur fournira jamais et auxquels il les empêche même de songer. »