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LE DÉSIR

server dans le plus grand repos possible, c’est-à-dire dans l’équilibre intérieur le plus complet, dans la plus grande harmonie, voilà le but dernier de tous nos efforts. Puisque tel est le souverain bien, le pire mal sera le trouble, le désordre produit par l’intervention de toute cause extérieure. Eviter ce mal, désirer ce bien, voilà ce que nous voulons.

Ce bien, à vrai dire, nous ne le désirons pas comme on désirerait une chose étrangère, hors de portée ; il est en nous, il se produit naturellement et immédiatement dès que les causes de trouble sont supprimées ; ce que nous désirons donc plutôt, c’est simplement la suppression de ces causes de trouble. De là ces paroles d’Epicure : « La fin, c’est de ne pas souffrir dans son corps et de ne pas être troublé dans son âme (τέλος εἶναι μήτε ἀλγεῖν κατὰ σῶμα μήτε ταράττεσθαι κατὰ ψυχήν). Nous faisons toutes choses dans le but de ne pas souffrir et de ne pas être troublés[1]. » La non-souffrance, en effet, fait apparaître la jouissance ; l’ἀπονιά, l’ἀταραξία, sont des moyens tellement efficaces et immédiats du bonheur, que, aussitôt donnés, ils le donnent : « Dès qu’une fois est née en nous la santé du corps et l’ataraxie de l’âme, aussitôt s’apaise tout orage de l’âme, car l’être n’a plus à marcher comme à la poursuite de ce qui lui manque (ἐνδέον τι), il n’a plus à chercher rien autre chose par quoi soit rempli (συμπληρωθήσεται) le bien de l’âme et du corps (τὸ τῆς ψυχῆς καὶ τὸ τοῦ σώματος ἀγαθών)[2]. »

Nous arrivons ainsi à cette conséquence que le souverain plaisir et le souverain bien, c’est l’absence de peine et de trouble, ἀπονιά, ἀταραξία ; c’est le repos en soi-même et la tranquillité, κατάστημα.

Faut-il donc croire, avec la plupart des critiques[3], qu’Epicure entendit par la l’absolue impassibilité, un état entièrement semblable au sommeil et à la mort ? — L’idée de trouble, qu’Epicure a si fortement conçue et développée, a pour principe naturel l’idée d’harmonie ; on ne trouble que ce qui est harmonieux, on ne craint le trouble que pour conserver l’harmonie. Aussi le dernier mot de l’épicurisme ne doit-il point être l’ἀπονιά, l’absence de peine, mais plutôt la conservation du plaisir :

  1. Diog. L., x, 131 ; ibid., 128.
  2. Diog. L., x, 128.
  3. Principalement M. Ravaisson.