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LE DÉSIR

κινήσει), la part de l’activité est déjà plus importante ; c’est elle qui se meut vers l’objet désiré et cherche à en prendre possession. Mais supprimez cet objet même, tenez-vous-en au sujet sentant ; est-ce que le plaisir sera par là supprimé ? Si le plaisir est essentiellement délivrance des obstacles et indépendance, s’il nous vient surtout de nous-mêmes, il ne pourra que gagner à ce qu’on supprime tout objet ; l’être n’a qu’à se replier sur soi, et c’est de soi, c’est de sa propre conscience qu’il tirera le plaisir à la fois le plus indépendant et le plus profond : « Lorsque nous sommes affranchis de la douleur, nous jouissons de la délivrance même et de l’exemption de toute gêne[1]. » Vivre ainsi en liberté, en repos et en harmonie avec soi-même, et se sentir intérieurement vivre, tel est le plaisir suprême, dont les autres ne sont que des formes changeantes, et qui, à jamais le même, peut subsister sans eux et au-dessus d’eux.

  1. « Quum privamur dolorc, ipsâ liberatione et vacuitate omnis molestiæ gaudemus... Gaudere nosmet omittendis doloribus, etiam si voluptas ea, quæ sensum moveat, nulla successerit. » De finibus, I, 37; II, 56.