Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/15

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— Il est facile de voir à votre figure que vous êtes Français, et à votre accent, je vous reconnais Lorrain. Mais où allez-vous ainsi à pied ?

— À Metz, si c’est possible.

— À Metz !… Vous aurez du mal, cher monsieur, car on parle dans le pays de batailles gigantesques, qui se seraient livrées aux environs : on cite les noms de Borny, Gravelotte. La ville doit être inabordable.

— Les Prussiens cachent toutes les nouvelles. Aussi ne sait-on rien de précis et doit-on se défier des bruits qu’ils répandent faussement… Mais je suis surpris de vous voir voyager librement, en voiture ; car je sais que les Prussiens mettent tous les chevaux en réquisition et souvent même les voitures.

— C’est vrai. Mais lorsqu’ils sont arrivés chez moi, les paysans avaient conduit chevaux et voitures dans les bois. Les Allemands n’ont pu saisir que quelques bêtes qui, s’étant égarées, revenaient au village. Quant à moi, je n’en ai vu aucun en venant ; il paraît qu’ils sont tous partis sur Paris, par Frouard.

— Et Toul ? Toul la brave, où sont les mobiles nancéiens ! croyez-vous qu’elle les laissera passer ainsi ! Ah ! que ne suis-je dans ses remparts !

— Ils ont déjà éprouvé de la résistance devant Toul, car le canon s’est fait entendre plusieurs fois de ce côté et l’on dit qu’un prince allemand y a été blessé gravement. »

En causant ainsi, nous étions arrivés dans un village nommé Marbache, où la route se divisait en fourche.

Mon automédon arrêta sa voiture.

« Je suis fâché, me dit-il, de ne pouvoir vous être utile plus longtemps. Mais comme vous allez à Pont-à-Mousson et moi dans les côtes, il faut nous séparer. »

Nous étions devant un semblant de café, dont l’enseigne venait d’être effacée et le bouchon enlevé ;