Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/32

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quaient absolument, comme j’ai pu m’en convaincre moi-même.

Plusieurs fois je suis arrivé à l’improviste dans une auberge d’un des villages parcourus le plus souvent par les rôdeurs prussiens.

À ma vue, chacun se taisait, les mains semblaient rentrer dans les poches, une trappe se refermait bien vite : la défiance était sur tous les visages et à peine me saluait-on.

« Puis-je avoir quelque chose à manger ? demandais-je poliment.

— Vous vous trompez, ce n’est pas ici une auberge, me répondait-on d’une voix sauvage.

— Cependant j’ai vu une enseigne.

— Oui… mais… qui êtes-vous ?

— Je suis Français, vous le voyez bien.

— Ah ! C’est différent. Avez-vous des papiers. »

Je montrais ma carte d’étudiant, une feuille des contributions, et la glace était rompue. Je devenais un frère, les mains se rapprochaient, le cercle se formait autour de moi. On trouvait bien un morceau de pain et quelquefois un verre de vin.

Après avoir laissé Pont-à-Mousson bien loin derrière moi et gravi les collines qui bordent la Moselle, je vis se dérouler au loin devant mes yeux, le blanc cordon d’une rivière, qui serpentait à travers de vertes prairies et de nombreux villages.

C’était la Seille.

À droite et à gauche, à perte de vue, de sombres forêts étendaient leur masse profonde dans les brouillards gris. Mais ce que je considérais surtout d’un œil consterné, c’est ma route, qui, aux rayons du soleil couchant se montrait longue et blanche, dans la plaine silencieuse.

Je passai devant quelques soldats prussiens, qui étaient assis sur le côté du chemin.

Ils paraissaient tristes et fatigués. L’un d’eux était