Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/34

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nuages, un temps lourd, d’une chaleur humide, annonçaient un orage.

Je suivais un chemin étroit, le long d’un bois. Aux derniers rayons du crépuscule, je venais d’apercevoir la silhouette d’un clocher, qui s’élevait comme un noir fantôme au milieu des arbres, dans la plaine.

Plein de joie, je doublais le pas, lorsqu’une voix, qui eût fait trembler un régiment de dragons, m’arrêta net, par un Werda des mieux accentués !

J’aperçus dans l’ombre un casque, qui brillait d’un lugubre éclat, et un fusil dirigé vers moi.

Les plus tristes réflexions vinrent m’assaillir et plus vite qu’il ne faut pour l’écrire, je me rappelai que peu de jours auparavant, un vieillard avait été tué avec son fils, dans une même rencontre. En rentrant un soir, ils n’avaient pu s’expliquer en allemand, et une balle les avait frappés dans la nuit.

Je restai silencieux, ne sachant que répondre, et craignant d’être tombé dans un avant-poste, où mon sauf-conduit n’aurait plus de valeur.

« Werda ? » répéta la sentinelle, et j’entendis armer le fusil.

Comment entrer en explication ? C’était beaucoup trop long : une balle pouvait m’être envoyée, devant mon embarras de répondre.

Aussi je me jetai dans un buisson et de là dans le bois, abandonnant dans les branches, près de la route, mon sac de voyage, que j’espérais retrouver plus tard.

Les balles me sifflaient aux oreilles.

J’entendis courir derrière moi : je franchis les buissons, sans voir clair, me déchirant aux épines, me blessant aux arbustes.

Après quelques instants, je m’arrêtai pour écouter, mais je n’entendais plus qu’un bruit lointain, lorsque près de moi, un craquement de branches cassées, de feuilles foulées, me fit retourner.

Jugez de ma stupéfaction, quand je vis presque sur