Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/69

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Il remit son fusil, car il avait oublié dans le premier mouvement de colère qu’il n’avait que des plombs de chasse.

D’abord des cavaliers passèrent au galop, puis bientôt nous vîmes par la fenêtre, dans l’ombre, une armée tout entière, qui trottait sur la route, sans s’arrêter. Le bruit lourd des pieds qui frappaient le sol avait quelque chose de lugubre.

« Ils veulent sans doute surprendre Thionville, me dit tout bas le père Frank, car leur vraie route était plutôt le long de la Moselle. Puisse le ciel les confondre ! »

Ils étaient déjà loin, lorsque quelques coups de feu retentirent.

« Les Français veillent, s’écria le père Frank, l’œil en feu. Viens voir, Christian.

— Non, dit ma mère, ne sortez pas : on va peut-être se battre dans le village. Une balle peut vous atteindre. »

Le bruit des coups de feu se rapprochait ; la route se remplissait de soldats allemands qui revenaient. Ma mère et Wilhelmine tremblaient comme des feuilles agitées par le vent.

« Montez dans ma chambre en haut, sur le jardin, leur dit le meunier, et fermez les volets. »

Je conduisis les deux pauvres femmes en lieu sûr, pendant que le père Frank fermait solidement les portes. Ensuite je montai au grenier pour tâcher de voir à travers une lucarne ce qui se passait au dehors.

À la lueur des coups de fusil, je voyais les Prussiens se rapprocher de la maison : ils se retournaient à chaque pas, pour tirer. Les uhlans déchargeaient leurs gros pistolets et se sauvaient aussitôt.

Plus loin, une fusillade bien nourrie les poursuivait et de temps à autre un uhlan tombait et son cheval se sauvait dans la rue.

En peu de temps, les Prussiens disparurent, grâce